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qu’il me serait difficile de saisir sur son visage une pensée nettement déterminée. Cependant il y a dans son attitude, sinon dans son regardd, une expression de noblesse et de grandeur. La sœur de Didon, appuyée sur le lit où la reine est couchée, est une des figures les plus gracieuses qui soient nées sous le pinceau de l’auteur. Les yeux et la bouche sont pleins de tendresse, et cette tendresse est mêlée de générosité. Anna écoute d’une oreille, attentive le récit d’Énée, comme si elle pressentait la passion funeste que ce récit allumera dans le cœur de Didon. Je ne professe pas une grande admiration pour le faux Ascagne, bien que cette figure ait obtenu, il y a trente-trois ans, une popularité prodigieuse. La malice que le peintre a voulu mettre dans les yeux et sur les lèvres du faux Ascagne n’est pas exempte d’afféterie. Or, s’il y a au monde un poète qui conseille, qui prescrive la simplicité, c’est à-coup sûr Virgile. Chez le poète latin, il n’y a pas trace du défaut que je signale dans le faux Ascagne. Cependant, malgré la physionomie insignifiante du narrateur, malgré l’afféterie qui gâte la malice du fils de Vénus, il reste encore dans ce tableau beaucoup à louer. La toile tout entière est inondée de lumière. La mer s’étend au loin et l’œil nage avec bonheur dans cet espace indéfini. On pourrait souhaiter une plus grande sobriété de détails dans le vêtement de la reine, dans le lit même où elle est couchée. Il est certain en effet que les ornemens prodigués par le peintre exposent le regard du spectateur à de fréquentes distractions, et nuisent d’autant à l’effet poétique de la composition. Pourtant il ne faut pas oublier que Virgile nous représente Didon comme une femme belle et fière de sa beauté, et l’illustre Mantouan, dans le portrait de la reine de Carthage, n’omet pas la coquetterie. Ainsi je n’attache pas une grande importance à la remarque précédente. Bien que je préfère, en toute occasion, la simplicité à la profusion, je ne puis voir dans les ornemens imaginés par le peintre pour le vêtement de Didon un sujet de reproche bien sérieux, et je loue volontiers l’élégance et l’élévation qui règnent dans toutes les parties du tableau ; car le faux Ascagne lui-même, malgré sa malice un peu affectée, n’est pas dépourvu d’élégance. Pour traduire ainsi les poètes de l’antiquité, il faut avoir vécu avec eux dans un commerce familier, et la Didon de Guérin demeure comme un témoignage éclatant de l’assiduité, de la persévérance de ses études.

Clytemnestre poussée par Égistke au meurtre d’Agamemnon n’est pas moins digne d’attention que Didon écoutant le récit d’Épée. La lumière sanglante répandue sur tous les personnages s’accorde très bien avec la scène que l’auteur a voulu représenter. La lecture d’Eschyle n’a pas été pour lui moins féconde que la lecture de Virgile. La reine adultère est très bien conçue. Son visage, sa démarche, respirent une rage homicide. Pour posséder librement l’amant qu’elle a choisi, elle a résolu