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d’égorger son mari ; mais sa main n’est pas aussi hardie que son cœur et tremble au moment de l’exécution. La mère d’Oreste, qui doit un jour venger le meurtre de son père, cherche dans le crime même un lien de plus pour enchaîner Égisthe. Toutes les intentions du poète sont fidèlement rendues par le peintre. Tout dans cette composition est si habilement calculé, que l’esprit n’hésite pas un instant sur le rôle assigné à chaque personnage. Il est permis de blâmer les proportions que l’auteur a données au roi d’Argon. Il faudrait en effet qu’Agamemnon fût placé assez loin d’Égisthe et de Clytemnestre pour que le spectateur pût accepter ces proportions. La reine et son amant sont dans la chambre du roi, et il semble qu’Agamemnon soit séparé de nous par une vingtaine de pas. C’est là certainement une erreur positive, mais une erreur toute matérielle, qui n’enlève rien à la grandeur de la composition. C’est une question de perspective, qu’un écolier, après six mots d’étude, pourra facilement redresser. Quant au mérite poétique de ce tableau, il faudrait, pour le contester, ne pas connaître le premier mot de la tragédie grecque. Quiconque en effet a vécu familièrement avec Eschyle, avec Sophocle, comprend toute l’élévation, toute la fidélité du tableau de Guérin. Si l’exécution n’est pas aussi savante, aussi précise qu’on pourrait le souhaiter, la physionomie et la pantomime des personnages sont de nature à contenter le goût le plus difficile. Y a-t-il aujourd’hui beaucoup de peintres dont les œuvres méritent le même éloge ? La Clytemnestre de Guérin est une composition long-temps méditée, habilement conçue, et qui tiendra toujours un rang élevé dans l’école française.

Cette rapide analyse des ouvrages de Pierre Guérin nous montre assez clairement que ce n’était pas un maître vulgaire, et en effet plusieurs artistes éminens de notre temps ont puisé à son école, sinon le respect aveugle des principes qu’il professait, du moins l’habitude de méditer à son exemple et de ne pas confier aux caprices du pinceau la révélation ou plutôt l’invention de leur pensée. J’ai dit que Géricault avait excité chez Pierre Guérin plus d’étonnement que de sympathie, et cela se conçoit : pour peu qu’on prenne la peine de comparer le Radeau de la Méduse à Didon écoutant le récit d’Enée, rien au monde n’est plus facile à concevoir que l’étonnement de Pierre Guérin. Il y avait chez Géricault une passion pour la réalité qui ne pouvait accepter aucune contrainte. Lorsqu’il n’avait pas encore quitté le collége, les jours de sortie, il ne connaissait pas de plus grand plaisir que d’assister aux exercices de Franconi, et ses camarades ajoutent que, frappé d’admiration pour le talent de cet habile écuyer, il regardait comme un honneur de s’entretenir avec lui sur la meilleure méthode à suivre dans le maniement des chevaux, et non-seulement il suivait assidûment les exercices de Franconi, mais il allait se placer à