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à la chose la plus honnête et la plus officielle du monde, l’honneur de la dame n’exige pas que nous nous fassions mystère de son choix. Quant aux lâches petits moyens usités en pareil cas par les plus honnêtes gens, la délation, la calomnie, la raillerie, ou tout au moins la malveillance à l’égard d’un rival qu’on veut supplanter, je n’en fais pas mention dans notre traité. Ce serait nous faire une mutuelle injure.

Je souscrivis à tout ce que proposait Celio sans regarder en avant ni en arrière, et sans même prévoir que l’exécution d’un pareil contrat soulèverait peut-être de terribles difficultés.

— Maintenant, me dit-il en me faisant entrer dans la cour du château, qui était vaste et superbe, il faut que je commence par te conduire chez notre marquis... Puis il ajouta en riant : Car ce n’est pas sérieusement que tu as demandé, hier au soir, chez qui nous étions ici ?

— Si j’ai fait une sotte question, répondis-je, c’est de la meilleure foi du monde. J’étais trop bouleversé et trop enivré de me retrouver au milieu de vous pour m’inquiéter d’autre chose, et je ne me suis pas même tourmenté, en venant ici, de l’idée que je pourrais être indiscret ou mal venu à me présenter chez un personnage que je ne connais pas. A la vie que vous menez chez lui, je ne m’attendais même pas à le voir aujourd’hui. Sous quel titre et sous quel prétexte vas-tu donc me présenter ?

— Oh ! mais tu est fort amusant, répondit Celio en me faisant monter l’escalier en spirale et garni de tapis d’une grande tour. Voilà une mystification que nous pourrions prolonger long-temps, mais tu t’y jettes de trop bonne foi, et je ne veux pas en abuser. En parlant ainsi, il ouvrit la double porte d’une salle ronde qui servait de cabinet de travail au marquis , et il cria très haut : — Eh ! mon cher marquis de Balma, voici Adorno Salentini qui persiste à vous prendre pour un mythe, et qui ne veut être désabusé que par vous-même.

Le marquis, sortant du paravent qui enveloppait son bureau, vint à ma rencontre en me tendant les deux mains, et j’éclatai de rire en reconnaissant ma simplicité.

« Les enfans pensaient, dit-il, que c’était un jeu de votre part ; mais, moi, je voyais bien que vous ne pouviez croire à l’identité du vieux malheureux Boccaferri de Vienne et du facétieux Leporello de cette nuit avec le marquis de Balma. Cela s’explique en quatre mots : j’ai eu des écarts de jeunesse. Au lieu de les réparer et de me ramener ainsi à la raison, mon père m’a banni et déshérité. Mes prénoms sont Pierre-Anselme Boccadiferro. Ce nom de Bouche de fer est dans ma famille le partage de tous les cadets, comme celui de Crisostomo, Bouche