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les inspirations et sur les hasards d’une dictature patriotique. Il faut aux sociétés un fondement moins variable, un ordre moins arbitraire ; elles ont besoin d’une règle muette, qui leur offre à propos un recours assuré ; qui préside constamment, et par le fait seul de son institution, a leurs destinées diverses, qui les conduise et les juge, sans qu’elles aient à s’imposer d’efforts de tous les instans pour être conduites et jugées. Cette règle muette, c’est le droit positif qui contient, qui corrige le droit de nature, qui en restreint les libertés sauvages pour les transformer en libertés raisonnables, et qui élève l’homme à la hauteur du citoyen.

Nous ne voulons pas prétendre que la constitution de 1848 ait réalisé cet idéal du droit positif, tel que nous nous plaisons à le contempler. Elle a trop affecté de réserver dès le préambule ces droits antérieurs et supérieurs à toutes les chartes, dont la proclamation impérieuse n’est ni plus ni moins que la négation même du droit positif. Et cependant c’était déjà beaucoup d’avoir alors entre soi une convention obligatoire et formelle, dont le texte précis pût courir la société contre les interprétations pernicieuses que les individus s’aviseraient de donner aux dépens de tout le monde à ces fameux droits antérieurs et supérieurs qui leur étaient garantis. La charte de 1848 était sans doute subordonnée en principe à la théorie du sens individuel, qu’elle élevait pour ainsi dire au-dessus d’elle par cette vague indication de droits trop élastiques ; mais la pratique ne devait pas manquer de contredire et de paralyser la doctrine. C’était en vertu de leur sens individuel, de leur appréciation particulière du droit antérieur et supérieur, que les hommes du 13 juin 1849 en appelaient à l’insurrection contre la politique du gouvernement dans les affaires de Rome. C’était de par la même faculté d’appréciation personnelle que la montagne aurait proscrit, si elle l’avait pu, tous ceux qui votèrent la loi du 31 mai 1850. Pourquoi les hommes du 13 juin ont-ils été vaincus ? pourquoi, le 31 mai, leurs successeurs ne se sont-ils pas montrés ? C’est que, le 13 juin et le 31 mai le gouvernement et la société étaient restés dans les termes de la constitution, et gardaient ainsi pour leur cause cette force que prête l’appui d’un point fixe, lorsque tout flotte et branle alentour.

Qui sait encore où nous. auraient menés les jalousies mutuelles, la concurrence acharnée des opinions entre lesquelles le parti conservateur est fatalement divisé, si chacun n’avait craint d’ouvrir une brèche dans cette constitution, pourtant si fragile, de peur que ses adversaires ne s’y précipitassent avant lui, et ne prissent pour leur compte la place qu’elle défendait ? Si quelquefois, après de brusques éclats, après des ruptures menaçantes, nous avons eu de trop courts intervalles d’abnégation et de paix au sein du parti modéré, nous les devons ainsi a la constitution même, dont l’inviolabilité devenait pour tous la raison suffisante d’une trêve honorable, qui fournissait un terrain neutre où l’on pouvait respirer en commun, puisqu’il abritait tout le monde. On pensera peut-être que nous professons une gratitude excessive pour la charte de 1843, on dira que le mérite de cette constitution n’était en somme que d’être une constitution. En effet, c’était déjà bien quelque chose d’aborder là au sortir du chaos qu’il avait fallu traverser, et puisse ne pas venir un jour où, nous sentions mieux encore le prix que cela valait ! La constitution de 1848 ne nous a rendu que des services négatifs ; soit, mais c’étaient encore des services ; son