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dont l’éloquence chrétienne l’a frappé, les déclamations magnifiques auxquelles la philosophie, pour cette fois d’accord avec la chaire, s’est livrée contre lui ? Nous n’avons point mission pour entrer dans un tel débat ; Bossuet[1] et Jean-Jacques Rousseau[2] ont laissé peu à dire sur ce sujet, et qui les relira à ce propos ne se plaindra point que nous renvoyions à leurs écrits. Quelle énergie de langage dans tous les deux ! quelle vue profonde, et qui pénètre jusqu’au fond de l’être humain ! Mais quelle autorité et quelle ardeur de conviction dans le premier ! Là où le philosophe déclame, l’évêque ordonne et subjugue ; à travers la logique éloquente et l’argumentation serrée du Genevois, on entrevoit l’auteur du Devin du village et le faiseur de comédies. Il y a de la mise en scène dans ses anathèmes contre le théâtre. Il reproche aux poètes dramatiques de peindre l’amour et de disposer les cœurs à la faiblesse, avec ces images et ce style passionné qui entraîna Julie dans les bosquets de Clarens. « Les tableaux de l’amour ont toujours une impression plus contagieuse que les maximes de la sagesse, » nous dit-il, et il retrace avec complaisance les charmes et les transports les plus décevans de la passion. Que les allures de Bossuet sont différentes ! Sa sévérité n’est point un jeu joué, et son indignation contre la comédie une comédie. Il ne cherche ni ne redoute ces occasions dangereuses qui amollissaient tout à l’heure l’éloquence du philosophe. Ce hardi confesseur en sait long sur la passion humaine, et lui arrache les voiles trompeurs dont elle s’enveloppe. « De quelque manière dont vous vouliez qu’on tourne cet amour, ordinaire sujet de vos comédies, et qu’on le dore, dans le fond ce sera toujours, quoi qu’on puisse dire, la concupiscence de la chair, qu’il est défendu de rendre aimable, puisqu’il est défendu de l’aimer. Ce que vous en ôtez de grossier ferait horreur si on le montrait, et l’adresse à le cacher ne fait qu’y attirer les volontés d’une manière plus délicate, et qui n’en est que plus périlleuse lorsqu’elle paraît plus épurée. Mais, tenez, il ne faudrait pas nous réduire à la nécessité d’expliquer ces choses, auxquelles il serait bon de ne penser pas. » Et le saint évêque termine brusquement.

Il ne s’agit point ici du théâtre à ce point de vue supérieur et intime d’où le considérait Bossuet. Nous avons toujours pensé que les sociétés humaines gagneraient à ce que chacun fît son métier sincèrement, et qu’on ne se crût pas propre surtout à l’office du voisin. Aux évêques la prédication et la décision sur ces matières délicates : nous sommes du monde et de notre temps ; il n’est pas donné à chacun de revenir à l’innocence première, ou de pratiquer cette austérité pénitente, qui voit

  1. Lettre au père Caffaro sur la comédie.
  2. Lettre à d’Alembert sur les spectacles.