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à des ouvrages mort-nés, en les investissant du privilège de la brûlure. » Le maire de Paris et Santerre, avec la garde parisienne, avaient occupé le théâtre pour empêcher les représentations : mais les spectateurs s’ameutèrent, se rendirent à la barre de la convention avec l’auteur, M. Laya ; et « comme la commune avait suspendu la pièce parce qu’on faisait allusion à Robespierre et à Marat, dit le même journaliste, la convention la rétablit précisément par cette raison. La quatrième représentation eut donc lieu, de par la convention, » à dix heures du soir devant deux mille spectateurs assiégés par trente mille hommes qui couvraient la place et les rues voisines, et en présence du maire et de Santerre, qu’on avait prudemment gardés en otage. — A Marseille, la pièce fut représentée deux fois dans la même soirée, sur le même théâtre. Tout ceci se passait, nous le répétons, deux jours avant l’exécution de Louis XVI. La terreur vint bientôt apaiser et terminer toute lutte ; il y eut alors un moment de silence au théâtre comme dans la France entière, interrompu seulement par le bruit qui se faisait à la place de la Révolution. Après une représentation de je ne sais quelle pièce dont la majesté de la convention se trouva offensée, le Théâtre-Français fut fermé, et tous les acteurs envoyés à la Conciergerie. Plus d’un sans doute regretta la censure de MM. les gentilshommes de la chambre et le For-Lévêque de l’ancien régime.

Après le 9 thermidor, la réaction de l’esprit public éclata avec une nouvelle force au théâtre. L’une des pièces les plus applaudies fut l’Intérieur des Comités révolutionnaires, ou les Aristides modernes, jouée pour la première fois le 8 floréal an III. C’était le tableau fidèle d’une de ces cavernes de brigands et de délateurs qui avaient fait de la France, disait-on, « une immense forêt fermée de murs, habitée par des loups qui dévorent et des brebis qui se laissent égorger. » - En 1796, le directoire rétablit la censure, en maintenant d’ailleurs le droit d’élever, sans privilège de l’autorité, des entreprises théâtrales. On en compta bientôt jusqu’à cinquante-deux. La soif des plaisirs qui marqua cette époque n’empêcha ni la ruine, ni les banqueroutes de la plupart de ces spectacles. Il y avait émulation parmi ceux qui se soutenaient pour attirer la jeunesse par des nouveautés plates ou obscènes[1].

Enfin, en 1806, l’empereur voulut rétablir aussi l’ordre au théâtre. Il organisa la censure, réduisit les théâtres au nombre de huit, et les plaça sors la surveillance du ministre de la police[2]. On sait avec quelle sollicitude il veillait constamment à tout ce qui touchait aux questions de l’art dramatique. Il en comprenait l’importance comme souverain et législateur ; il l’aimait comme un délassement digne de lui et de ses grands travaux. La tragédie surtout, cette littérature héroïque

  1. Rapport au conseil d’état.
  2. Décret du 8 juin 1806.