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des sujets de la Russie, réunis par une ; commune hostilité à la souveraineté spirituelle de Rome.

Cependant l’influence attractive du siége patriarcal d’Etchmiazin ne s’est pas étendue avec la même intensité dans toute la Turquie. Quand le patriarche arménien devint sujet russe, les schismatiques restés en Turquie ne purent voir sans regret le chef de leur église placé sous une dépendance qu’eux-mêmes ne subissaient pas. Ils ont voulu alors avoir un autre pontife demeurant avec eux sur la terre d’Arménie, et ils ont érigé un nouveau siége de cette dignité. Ils firent, dans cette vue, choix d’une île située au milieu du lac de Van, triste rocher sur lequel s’élève le petit monastère d’Aktamar. C’est en ce lieu solitaire, presque inabordable, qu’ils ont installé un de leurs évêques décoré du nom pompeux de patriarche. Celui qui y séjourne actuellement vit non-seulement dans un état de misère qui fait honte à son troupeau et avilit la dignité dont il est revêtu, mais encore dans un isolement et un discrédit qui ne peuvent inspirer aucune jalousie à son rival d’Etchmiazin.

La Russie tire vanité d’ailleurs de la politique religieuse dont elle couvre son influence sur les Arméniens. De leur côté, ceux-ci ne dissimulent pas la servitude dans laquelle se trouve placée même la plus haute dignité de leur église, car sur le trône pontifical d’Etchmiazin la colombe, symbole de l’Esprit saint, a été remplacée par l’aigle noir, symbole de l’autocratie sous la pression de laquelle vit et agit le patriarche qui s’y asseoit.

Le monastère d’Etchmiazin paraît occuper l’emplacement d’une ancienne ville, et, à en juger par des inscriptions grecques qui se retrouvent sur ses murs, cet édifice remonterait aux premiers siècles de notre ère. Autour du pape arménien que l’élection y amène, avec le consentement du czar, se groupent quelques évêques et vartabeds qui vivent là à peu près comme des religieux. Il s’y trouve une imprimerie et une bibliothèque qui possède cinq à six mille volumes, preuves incontestables d’une littérature arménienne qui autrefois embrassait presque toutes les branches des connaissances humaines ; cette littérature remonte au IVe siècle, époque à laquelle les Arméniens eurent une écriture nationale. Jusque-là les langues grecque ou syriaque, répandues parmi eux par les prêtres qui vinrent les évangéliser, étaient les seules en usage dans leurs livres ; mais, vers l’an 380, la conversion de l’Arménie l’ayant mise en rapports plus étroits avec les Grecs, elle commença à recevoir par eux quelques notions de leurs sciences. Alors se fonda une école de laquelle sortirent de jeunes disciples choisis pour aller puiser une instruction plus étendue dans les écoles célèbres d’Édesse, d’Antioche, de Constantinople, d’Athènes et de Rome. Quelques ouvrages grecs furent d’abord traduits en arménien. C’est ainsi