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plus tard lui fit porter son propre nom. Cette négresse, bien inconnue aujourd’hui, a eu, elle aussi, son moment dans l’histoire ; elle voyagea à Londres, où elle fut l’objet de l’admiration générale. George Washington ne dédaigna pas de correspondre avec elle ; l’abbé Grégoire, notre révolutionnaire régicide, la proclama un grand poète dans son Essai sur les facultés intellectuelles et morales des nègres. Les ennemis de l’esclavage applaudirent à ses vers avec enthousiasme ; les partisans de l’esclavage la dénigrèrent. Cette humble esclave noire a été pendant un moment aux yeux de l’univers comme le type suprême de sa race ; elle a été dans le monde civilisé le représentant de tous ses frères ; son existence a été un des incidens de l’histoire universelle, et cette personne inconnue a eu sa part d’influence si petite qu’elle soit, dans les révolutions du monde. Maria James, de son côté, est une pauvre servante, fille d’émigrans du pays de Galles. Poète illettré, elle a tiré sa seule instruction de la Bible, du Pilgrim’s Progress et de miss Hannah More, une sorte de Mme de Genlis du puritanisme, et cependant c’est cette pauvre fille qui a écrit la pièce lyrique la plus complète, la plus nette et même la mieux composée au point de vue littéraire que nous trouvions dans ce recueil, car assez généralement toutes ces poésies lyriques sont mal composées ; les pensées y sont vagues, les images s’y confondent et enjambent en quelque sorte les unes sur les autres ; le sentiment principal ne s’y détache pas nettement. Ces pièces lyriques sont comme une sorte de bourdonnement d’abeilles, ou plutôt comme un miel à peine formé, dont chaque goutte conserverait encore la saveur particulière au parfum d’où elle est tirée. Voici la pièce de Maria James que nous ne donnons point, tant s’en faut, comme un chef d’œuvre, mais qui respire un profond sentiment religieux, et qui force les yeux du lecteur de s’attacher un moment sur le port éternel :


LES PÈLERINS. — A UNE DAME.

« Nous nous rencontrons ici-bas comme se rencontrent les pèlerins qui se dirigent vers des reliques lointaines, qui dépensent les heures du voyage en douces conversations depuis l’heure de midi jusqu’au déclin du jour, mêlant et fondant leur ame à mesure qu’ils parlent de leurs craintes et de leurs espérances dans cette vallée de larmes qu’ils traversent.

« Et cependant ils parlent avec plaisir de leurs travaux et de leur joie, des vents du désert qui les glacent pendant la nuit et de la chaleur qui les accable pendant le jour ; car, pour le cœur fidèle, un compagnon est toujours près de lui, comme l’ombre d’un rocher sur une terre stérile.

« Nous nous rencontrons comme se rencontrent les soldats. Avant que la victoire soit gagnée, avant que, joyeux, ils puissent déposer leur armure aux pieds de leur capitaine, ils s’encouragent mutuellement à combattre et à vaincre, dans l’espérance de conquérir la couronne que portent les vainqueurs.