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non-seulement les épiscopaux bannirent des temples, mais détruisirent les anciens monumens de la statuaire mobile. Stow nous apprend quel fut le sort du crucifix de Boxley, qu’on appelait, dit-il, le crucifix de graces, et dont les yeux et la bouche se mouvaient par de certains ressorts (with divers vices). Le dimanche 24 février 1538, il fut montré au peuple par le prêcheur, qui était l’évêque de Rochester, puis porté à Powle’s cross, et là démonté et brisé devant la foule[1].

Cependant le drame religieux, exclu des temples par le schisme, se maintint long-temps encore sur les échafauds de plusieurs confréries fondées par les catholiques et continuées par les anglicans. Dans les mystères et miracle-plays joués à Chester, à Coventry, à Oxford, à Towneley, etc., la statuaire mobile avait pour emploi de rendre possible l’introduction de quelques personnages gigantesques de l’Écriture et des légendes, Samson, Goliath, saint Christophe, ou celle de quelques animaux monstrueux, tels que la baleine de Jonas, le dragon de saint George, etc., colosses que l’on représentait à l’aide de mannequins d’osier qu’un homme placé dans l’intérieur faisait mouvoir avec adresse et à-propos.

D’autres grandes marionnettes avaient aussi et ont conservé long-temps un rôle considérable dans les pageants municipaux ou populaires, tels que la procession annuelle pour l’élection du lord-maire et les may-games[2]. Dans la première de ces solennités, on voyait défiler, entre autres divertissantes mascarades, quelques figures de géans fabuleux armés de pied en cap. À Londres, c’était Gogmagog et Corinoeus, aujourd’hui immobiles sur leurs piliers de Guildhall[3]. Dans les may-poles, le cortége se composait, suivant l’importance des lieux, d’un plus ou moins grand nombre de groupes qui avaient chacun leurs chefs, leurs danses et leurs chansons à part[4]. D’ordinaire on voyait gambader en avant du cortége soit un Jack ou Jeannot, soit un fou en costume officiel, c’est-à-dire avec grelots, vessie, marotte et bonnet à oreilles d’âne. Puis venaient les principaux acteurs des ballades nationales, Robin Hood, frère Tuck, Maid Marian, tous représentés (y compris la belle Marianne et ses compagnes) par de jeunes garçons vêtus comme l’exigeait leur rôle. Cette procession devait, pour ne rien laisser à désirer, offrir à l’arrière-garde plusieurs groupes particulièrement

  1. Annals or general Chronicle of England, p. 575.
  2. On nommait indifféremment cette fête may-game ou may-pole. Elle avait, comme chez nous, pour but ou pour prétexte la plantation d’un arbre ou mai.
  3. Ned Ward, dans son ouvrage intitulé London’s Spy, appelle l’un de ces géans Gog et l’autre Magog. Voyez l’histoire de ces deux colosses dans l’ouvrage de M. William Hone, Ancient Mysteries, p. 241 et 262-276.
  4. Voyez Nathan Drake, Shakspeare and his Times, t. I, p. 166.