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Robin Hood, la jeune Marianne et Little John. Ils montraient même en raccourci les géans tant applaudis dans les fêtes municipales, les danseurs moresques et jusqu’aux hobby-horses. Plusieurs de ces personnages n’ont même laissé d’autres traces de leur ancienne renommée populaire que sur les théâtres de marionnettes. Hawkins remarque que, peu avant le temps où il écrivait, un more dansant une sarabande était un des acteurs obligés des puppet-shows[1]. Quant aux géans, le duc de Newcastle, dans sa comédie the humorous Lovers, jouée en 1677[2], fait dire à un de ses personnages : « On s’est amusé à faire paraître, pour m’effrayer, un homme habillé comme un géant aux marionnettes (like a giant in a puppet-show). » Le fameux cheval de Punch et ses ruades pourraient bien être un dernier souvenir de la cavalcade des hobby-horses.

Quand, au milieu du XVe siècle, les confréries s’avisèrent de varier leur répertoire en mêlant aux miracle-plays des moralités, c’est-à-dire des pièces où figuraient les vices et les vertus personnifiés (procédé qui devait bientôt amener la comédie de mœurs et d’intrigue, comme les mystères et les miracle-plays ouvraient la voie au drame historique), les joueurs de marionnettes se hâtèrent de suivre encore en ce point l’exemple des confrères. Il leur suffit de tailler dans le bois ou le carton une douzaine de nouveaux acteurs, Perverse Doctrine, Gluttony, Vanity, Lechery, Mundus, et ce personnage qui les résumait tous, the old Vice, ou, comme on l’appelait aussi quelquefois, the old Iniquity[3]. Cet acteur, sorte d’Arlequin grossier descendu des anciens mimes[4], était, dans toutes les pièces jouées par les confréries, le joyeux partner de maître Devil (le diable). Shakspeare, dans Hamlet, a tiré de ce bouffon des moralités et des puppet-shows une allusion de la plus saisissante énergie. Au milieu des sanglans reproches qu’Hamlet adresse à sa mère, il déploie sous ses yeux un épouvantable portrait de Claudius :

Un vil meurtrier, un serf ignoble qui ne vaut pas la moitié de votre premier époux ! un roi de comédie (a Vice of kings), un coupeur de bourses qui a filouté la couronne et les attributs de la justice ! qui, rencontrant sous sa main le diadème, l’a volé et mis dans sa poche !… un royal paillasse, vêtu de chiffons et d’oripeaux[5] !…

  1. Hawkins, History of music, vol. IV, p. 388, note.
  2. Et non en 1617, comme le dit M. Strutt, Sports and pastimes of England.
  3. Ben Jonson, the Devil is an ass, acte I, sc. I. Works, t. V, p. 13 et 14.
  4. Le nom d’Arlequin n’apparaît en Angleterre que vers 1589, dans la dédicace d’un pamphlet attribué à Thomas Nash, an Almond for a parrot (une amande pour un perroquet), que M. Malone rapporte à cette date. Voyez Malone’s Shakspeare by Boswell, t. III, page 198.
  5. Hamlet, acte III, sc. IV.