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qui égayaient les villes et les campagnes à certaines époques. Si l’on ne supprima pas du même coup les miracle-plays et les moralités joués par les confréries de plusieurs villes, c’est que, pendant que les puritains et les new gospellers traitaient ces jeux de profanation et d’idolâtrie, les anglicans, plus politiques, jugeaient bon d’employer ce puissant levier de prosélytisme au profit du nouvel établissement religieux. John Bale, évêque d’Ossory, composa et fit représenter avec un grand succès, par les élèves du collége épiscopal de Kilkenny, une vingtaine de mystères et de moralités, tous empreints de l’esprit du protestantisme. Le clergé anglican entra même avec tant d’ardeur dans cette singulière voie de propagande, qu’il recommanda aux fidèles certains drames de ce genre, disposés de manière à pouvoir être joués dans l’intérieur des familles par un très petit nombre de personnes[1]. Toutefois, ce mode d’instruction protestante ayant été supprimé en 1553 par une proclamation de la reine Marie, qui restaurait en même temps dans toute leur splendeur catholique les mystères et les miracle-plays[2], le rétablissement de ces sortes de prêches dramatiques n’eut pas lieu comme on pouvait s’y attendre, à l’avènement d’Élisabeth. Cette princesse, quoique portée sur le trône par le parti protestant, se hâta d’interdire la scène à toutes les controverses religieuses, prétendant, en vraie fille de Henri VIII, régler seule tout ce qui avait rapport à la foi. Cette disgrace du drame théologique fut une des principales causes de l’essor subit que prit le théâtre profane et classique, qui avait l’appui de la jeune reine et qui répondait d’ailleurs si bien à ses goûts d’érudition, d’élégance et de poésie. Tout souriait donc à la comédie et à la tragédie renaissantes, lorsqu’en 1562 (l’année même où l’on applaudit la première pièce anglaise modelée sur la forme antique) se répandit en Angleterre la traduction des lois de Genève, qui prohibent, comme on sait, avec la dernière rigueur toutes les représentations scéniques. L’effet fut immense : tous les presbytériens des trois royaumes, pour qui la parole de Calvin était plus sainte et plus révérée que l’Évangile, jetèrent un cri de réprobation contre ce théâtre qui sortait, disaient-ils, des cendres du paganisme, et qu’ils maudissaient comme un retour à l’idolâtrie. De ce moment commença entre les puritains et les acteurs une guerre à outrance qui a duré plus d’un siècle. Geoffrey Fenton en 1574[3], John Northebrooke en 1577[4], Stephen Gosson

  1. Entre autres moralités protestantes ainsi disposées, on peut voir New Custom dans a select Collection of old plays, t. I, p. 266.
  2. En 1566 et 1567, on représenta en grande pompe à Londres, sous les auspices de la reine Marie, la Passion de notre Sauveur et quelques miracle-plays tirés de la Vie des saints.
  3. A Form of christian policie, London, 1574, in-8o.
  4. Treatise wherein dicing, dauncing, vaine plaies, etc., are reprooved.