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il n’y a parmi les marionnettes ni mâle ni femelle, et cela, tu peux le vérifier, si tu veux, toi, homme zélé, malicieux et myope. » Et là-dessus, la petite poupée, levant prestement sa jaquette, administre au puritain déconcerté la preuve démonstrative de ce qu’elle avance. Alors le joueur de marionnettes, joyeux de son triomphe et jaloux de pousser jusqu’au bout ses avantages, soutient résolûment que sa profession est aussi conforme à la loi que celle de son adversaire ; puis continuant son parallèle : « Ne parlé-je pas, dit-il, d’inspiration comme lui[1] ? Ai-je plus que lui rien à démêler avec l’érudition ? » accablant ainsi le triste ennemi du théâtre d’une grêle de plaisanteries du plus gai, du plus mordant, du plus excellent comique.

Cependant cette passion contre les marionnettes, que Ben Jonson prête à son Banbury-man comme une extravagance hyperbolique, s’était bien réellement logée dans quelques cervelles de precisians. Geoffrey Fenton a employé tout le septième chapitre de son fameux livre, a Form of christian policie[2], à établir que les ménétriers et les puppet-players sont aussi indignes que les comédiens eux-mêmes de jouir du droit de bourgeoisie. Il semble même que, dans quelques comtés, les puppet-shows faillirent être enveloppés dans la suppression des hobby-horses, car Jacques Ier ne crut pas inutile de les comprendre nommément dans la liste des jeux permis les dimanches et fêtes après les prières[3] ; mais ce ne fut là qu’un orage passager. La plupart des puritains eux-mêmes ne se faisaient aucun scrupule d’assister aux scriptural plays jouées par les marionnettes. La preuve de cet usage nous est fournie par une comédie de Cowley, the Guardian, représentée à la fin du règne de Charles Ier, et remise au théâtre, après la restauration, sous le titre de the Cutter of Coleman street. Dans cette pièce, on introduit au cinquième acte un masque, accompagné de quelques violons, pour donner un divertissement à une dame puritaine. Un des personnages de la pièce remarque que ce galant impromptu sera un plaisir céleste pour cette respectable veuve, qui n’a de ses jours vu d’autre spectacle que la Cité de Ninive aux marionnettes[4].

Lorsque tous les jeux de théâtre furent suspendus par le bill du 2 septembre 1642, et enfin abolis par le bill du 22 octobre 1647, les

  1. Ce passage nous montre que, si le canevas des puppet-plays devait être soumis à l’approbation du lord-maire, le dialogue était laissé à l’improvisation de l’interpreter et à la discrétion du directeur.
  2. Le titre porte en outre : gathered out of french. Je regrette de ne pas savoir de quel auteur français a été tiré ce singulier livre. Pour le passage cité, voyez G. Chalmers, Malone’s Shakspeare by Boswell, t. III, p. 433 et note 8.
  3. Burton, Anatomie of melancholy, sous le nom de Democritus junior, 1638, p. 273.
  4. The Cutter of Coleman street, acte V, sc. II. Cette pièce, refaite et remise au théâtre sous Charles II, offrait une piquante critique des faux émigrés et des prétendues victimes de la révolution, qui exploitaient impudemment la monarchie restaurée.