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et les vendit avantageusement au roi de l’île. Cette somme, remise à Whittington, prospéra entre ses mains, et fut l’origine d’une fortune qui le conduisit à être trois fois maire de Londres. Steele eut la cruauté d’établir un parallèle en règle entre Whittington and his cat et un grand opéra qu’on jouait à Hay-Market, Rinaldo ed Armida, et de donner, comme on le pense bien, tout l’avantage au premier. Il prit en outre soin d’annoncer que, pour continuer sa lutte avec le théâtre de Hay-Market, M. Powell se disposait à représenter incessamment l’opéra de Susanne ou l’Innocence découverte, avec une paire de vieillards tout neufs.

L’habileté de M. Powell était alors proverbiale, et l’on mettait son nom en avant dans toutes les occasions sérieuses ou badines qui touchaient à la mécanique. Le Spectateur, dans son 277e numéro, rappelle qu’avant la rupture avec la France, les dames anglaises recevaient leurs modes de Paris, au moyen d’une poupée à ressorts (a jointed baby) habillée dans le dernier goût, et qui faisait régulièrement tous les mois la traversée de Calais à Londres. Le Spectateur raconte qu’il a été invité à aller voir une de ces poupées, arrivée malgré la guerre, et donne une agréable description de tous ses atours, jusque, mais non compris, les nœuds de ses jarretières, « car je porte trop de respect, dit-il, même à du bois couvert d’un jupon, pour avoir consenti à pousser jusque-là mon examen. » Puis il ajoute : « Comme j’allais me retirer, la marchande de modes m’apprit qu’avec l’aide d’un horloger voisin et de l’ingénieux M. Powell, elle avait inventé une autre poupée (another puppet), qui, au moyen de petits ressorts intérieurs, pouvait mouvoir tous ses membres, et qu’elle l’avait envoyée à son correspondant de Paris pour qu’on lui enseignât les inclinations et les mouvemens gracieux de la tête, l’élévation méthodique de la gorge, la révérence, la démarche, toutes les graces enfin qui se pratiquent aujourd’hui à la cour de France.

La popularité dont jouissaient les marionnettes de M. Powell, et même les marionnettes beaucoup plus vulgaires, était si grande alors, que le docteur Arbuthnot, publiant en 1712 un pamphlet allégorique sur les affaires du temps, intitulé Histoire de John Bull, n’oublie pas de signaler, comme un trait qui caractérisait le peuple de Londres, l’amour effréné de ce genre de plaisir. Parmi les reproches que la colérique mistress Bull adresse à son mari, elle place au premier rang le temps qu’il perd aux marionnettes : « Vous êtes un sot, dit-elle, un pilier d’estaminets et de tavernes ; vous perdez le meilleur de votre temps aux billards, aux jeux de quilles et devant les boutiques de marionnettes. » Et un peu plus loin : « Toute cette génération n’a d’amour que pour les joueurs de cornemuses et pour les puppets-shows. » Le Spectateur, dans son n° 377, énumérant les lieux de Londres où l’on a