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homme vous hait et vous méprise ; mais, avec tout cela, vous divertissez les spectateurs (les tories) qui s’amusent de vos histoires bouffonnes. Ils consentiraient plutôt à laisser pendre toute la troupe qu’à se voir privés de vous[1].

Dans ce portrait, qui n’est pas flatté, non plus que dans quelques couplets chantés vers 1731 et tirés de je ne sais quelle puppet-play[2], Punch, ou plutôt Punchinello (car c’est le nom qu’il se donne), ne se montre encore qu’un little fellow fort libertin, fort tapageur, et déjà passablement brutal ; mais on ne le voit commettre encore aucune de ces énormités conjugales et paternelles qui vont bientôt lui donner une si singulière ressemblance avec Henri VIII ou Barbe-bleue. Les critiques anglais glissent sur ce rapprochement ; ils préfèrent comparer leur ami Punch à don Juan. M. William Hone a même établi entre ces deux personnages un parallèle en forme où, contre ses habitudes de critique exacte, il avance que les déportemens de Punch ont pu suggérer l’idée du caractère et des exploits du fameux burlador de Sevilla[3]. Il est obligé, pour donner une apparence de vérité à cette opinion que repoussent les faits et les dates, de supposer que Punch, comme don Juan, est emporté au dénoûment par le diable, ce qui est l’opposé du vrai. Il oublie même qu’en 1676, lorsque Shadwell introduisit sur la scène de Londres la première imitation de Don Juan (the Libertine destroyed), Punchinello n’était pas encore connu dans la Grande-Bretagne. M. Payne Collier pense, avec beaucoup plus de raison, que le drame de Punch and Judy est d’une date assez récente en Angleterre, et, prenant le contre-pied de l’opinion de M. Hone, il attribue les licences hyperboliques de cette composition à l’engouement qu’excita le chef-d’œuvre de Mozart à la fin du dernier siècle. Punch, suivant la définition de M. Payne, est le don Juan de la populace. D’ailleurs le plus ancien texte où cet habile critique ait trouvé la mention des aventures de Punch et Judy est une ballade qu’il ne croit pas remonter au-delà de 1790, et qu’il a extraite d’un recueil de pièces, tant imprimées que manuscrites, formé pendant les années 1791, 92 et 93. Il présume que ces stances ont suivi d’assez près le drame, et ont été composées par un amateur que la représentation avait charmé. Je dois ajouter pourtant que je ne serais pas fort surpris que M. Payne ne fût quelque chose de plus que l’éditeur de cette ballade. Quoi qu’il en soit, on lira ici, je crois, la traduction de cette pièce avec plaisir :

  1. L’abbé Morellet, qui connaissait bien la littérature anglaise, a composé, à l’imitation de Swifft, une petite satire en prose, intitulée les Marionnettes. Cette pièce assez piquante circula manuscrite sous le ministère de l’abbé Terray, et ne fut imprimée qu’à la suite de ses Mémoires en 1822 ; t. II, p. 353-370.
  2. Voy. Punch and Judy, p. 46.
  3. M. W. Hone, Ancient Mysteries, p. 230.