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surtout montrées cruelles envers nos malheureux prisonniers ; ce souvenir resta dans tous les cœurs, et nos soldats exaspérés n’en épargnèrent aucune à l’heure terrible de la vengeance.

Grace à la brillante ardeur des chasseurs, qui ne s’étaient pas sacrifiés inutilement, nous étions maîtres, dès le premier jour, de la plus grande partie des jardins masquant la ville, et le colonel Pariset, chef de l’artillerie, put le soir même faire établir une batterie de brèche contre la place. À la suite de cette première attaque des chasseurs, une reconnaissance des environs de la zaouia avait été faite par des officiers des armes spéciales. Ces officiers, protégés par deux compagnies du bataillon d’Afrique, se trouvèrent surpris dans leur mouvement de retraite. Ils furent presque tous atteints par les balles ennemies, entre autres le capitaine Thomas, le lieutenant Pillebout du génie, et le capitaine Marinier chef du bureau arabe de Batna, qui eut un œil emporté. Chaque arme, artillerie, génie, infanterie, fournit ainsi son contingent de victimes dans cette journée. Le soir, notre ambulance était encombrée de blessés, parmi lesquels on comptait treize officiers.

Le lendemain, la batterie qui avait été construite pendant la nuit fut armée de bonne heure et ouvrit son feu à travers un épais rideau de palmiers contre les murailles de la ville. Pour mieux juger de l’efficacité de ses feux et des obstacles qu’il s’agissait de surmonter, une nouvelle reconnaissance était nécessaire ; elle fut confiée par le général Herbillon au commandant Bourbaki, chef du bataillon des tirailleurs indigènes de Constantine. Cette mission convenait à merveille à ce jeune officier ; plein d’ardeur et de courage, qui avait une grande habitude des guerres d’Afrique. Si un passage avait été praticable, si un coup de main eût été possible, nul doute que M. Bourbaki ne l’eût tenté ; personne alors dans tout le corps expéditionnaire n’était plus capable de réussir. Malheureusement, les difficultés de l’attaque étaient au-dessus de tout ce que l’on avait imaginé. Le commandant, malgré un feu très vif qui partait surtout de la place, ne se retira qu’après avoir achevé sa mission, qui coûta cinq tués et quarante blessés à son bataillon. Toutefois, six des siens se firent frapper utilement, en enlevant des mains des Arabes un officier du 8e de ligne et un soldat du même corps qui allaient être égorgés.

Pendant toute cette journée, on se maintint, non sans péril, au milieu des jardins conquis la veille par les chasseurs, et dans la nuit l’artillerie fit établir une autre batterie à trente mètres en avant de la première, sous un feu continuel et meurtrier. Le lendemain, le colonel du génie Petit, chargé de la direction du siége, fut blessé mortellement au moment où il venait reconnaître l’emplacement d’une nouvelle batterie. Il était accompagné du capitaine Cambriels, du 5e bataillon de chasseurs, et de M. Seroka, l’officier adjoint au bureau arabe de Biskara.