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le tableau. Appliquée seulement aux deux millions de travailleurs qui peuplent les manufactures et les usines, une telle évaluation serait surtout en dehors de la vérité. Dans les localités où quelques ébauches d’enseignement professionnel existent sur des bases vraiment libérales, les ouvriers se montrent presque toujours avides d’en profiter. Ils sont frappés de l’utilité pratique de cette instruction spéciale. Tels sont les faits, telles sont les tendances qui se manifestent ; mais quelles conséquences faut-il tirer de ce tableau de la situation ? Comment satisfaire à ce besoin de s’instruire qui est la garantie de l’avenir, et qui caractérise parmi les classes laborieuses le mouvement intellectuel auquel nous assistons ?


III

Toutes les institutions d’enseignement professionnel accessibles aux ouvriers sont antérieures à la révolution de 1818. L’examen de l’état actuel des choses nous a dit assez haut que l’instruction industrielle n’avait encore reçu depuis cette époque aucun développement sérieux. L’éducation donnée aujourd’hui aux travailleurs ne suffit point pour les éclairer sur leur position. Si le système de l’enseignement ordinaire restait tel qu’il est, s’il n’était pas complété par un enseignement spécial, il nous exposerait à des désastres. Avec des sentimens dont l’honnêteté et le désintéressement ont survécu à tous nos déchiremens politiques et sociaux, les ouvriers ne pourraient encore que se presser confusément dans cette grande mêlée de la vie générale, faute d’avoir appris à se guider sur le chemin où le destin les pousse. Combler des lacunes désolantes, et, par une intelligente organisation ; donner la vie an principe de l’éducation professionnelle, c’est le meilleur moyen de raffermir les bases de notre société. Une synthèse un peu hardie rattacherait facilement à cet objet la politique intérieure de la France.

Les vices du régime actuel sautent aux yeux. Le cercle de l’enseignement industriel est infiniment trop restreint ; les institutions existantes sont, et par la nature de leur organisation et à cause de leur petit nombre, beaucoup trop éloignées des masses. De plus, cette partie de l’éducation publique manque d’une direction raisonnée ; il ne serait pas difficile de trouver des établissemens qui n’ont pas la moindre idée du rôle qu’ils sont censés remplir ; on ne touche pas assez au côté positif de la vie, on ne met pas les élèves en contact assez immédiat avec la pratique. Non-seulement le travail manuel est presque toujours abandonné, l’instruction générale elle-même reste trop théorique, trop étrangère à l’application. Comment s’étonner dès-lors que nos prétendues institutions spéciales ne rendent, la plupart du temps, leurs élèves capables d’exercer aucune profession ? Comment s’étonner qu’elles