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avertie du brûlis, avait pris par les grands sentiers, et ne savait rien de ce qui s’était passé à la clairière. Elle raconta que, vers la petite ravine, elle avait aperçu deux hommes qui lui avaient d’abord fait peur, mais qu’en les laissant approcher, elle avait reconnu Bruno et Bon-Affût, qu’elle les avait appelés, et qu’au lieu de répondre, tous deux s’étaient enfoncés dans les jeunes ventes. Ceci mit fin aux incertitudes. Il s’éleva un cri de réprobation générale. Honteux d’avoir été pris pour dupes et irrités d’un essai d’incendie qui les exposait à perdre leur gagne-pain, les boisiers s’écrièrent qu’il fallait arrêter les deux maraudeurs. D’après le rapport de Michelle, ils avaient pris le chemin de la Magdeleine : on se partagea en plusieurs bandes qui devaient occuper tous les passages et se rabattre ensemble vers la ferme. Ne pouvant ni prévenir les fugitifs, ni empêcher cette battue, je me décidai à ne point quitter le forestier. La troupe que Moser conduisait prit par le sentier où Bon-Affût et Bruno avaient été aperçus ; mais ceux-ci avaient sans doute trop d’avance pour qu’on pût les atteindre, car nous arrivâmes à la Magdeleine sans avoir rien rencontré. Bien que la ferme fût close et silencieuse, une raie de lumière dessinée sur le seuil prouvait suffisamment que tout le monde n’y était point endormi ; un chien ayant aboyé à notre approche, la lumière disparut. Moser nous arrêta du geste en pressant le pas. Presque au même instant la porte s’ouvrit, le père Louroux avança la tête pour voir qui venait, et le forestier se trouva brusquement devant lui.

À l’exclamation poussée par le fermier, nous nous rapprochâmes tous ensemble, ce qui le fit reculer et nous permit d’entrer ; mais, déconcerté un instant, il se remit vite et demanda ce qui nous amenait.

— D’abord ce vaurien, dit Moser en montrant Bruno assis sur la pierre du foyer, puis un autre qui doit être à la ferme avec lui.

— Qui cela ? demanda Louroux d’un air étonné.

— Le braconnier de la Mare aux aspics.

Bon-Affût ? il n’est point ici, comme vous pouvez voir ; mais je lui ai parlé pas plus tard qu’hier, même que monsieur était témoin.

Le forestier ne perdit point son temps à contester, et se mit à fouiller tous les coins de la ferme sans rien découvrir. Le paysan, qui vit son désappointement, jugea l’occasion favorable pour se plaindre d’une visite faite sous cette forme et à pareille heure : il commençait à le prendre de très haut ; mais l’Alsacien lui coupa la parole en l’avertissant qu’on connaissait ses rapports avec les braconniers, que la présence du chasseur d’abeilles, reçu au milieu de la nuit, était une confirmation suffisante, et qu’il aurait lui-même à rendre compte de sa part de responsabilité dans le double crime de braconnage et d’incendie. Il raconta ensuite brièvement ce qui avait eu lieu, annonça que toutes les routes étaient surveillées, et reprit sa recherche, suivi cette