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tirée littéralement du poème hébraïque. M. de Lamartine, nourri de bonne heure de la lecture de la Bible, ne pouvait guère échapper à l’empire de ses souvenirs. D’après son propre témoignage, ces réminiscences ne sont pas d’ailleurs complètement involontaires. Il lui a plu d’engager la lutte avec les versets passionnés de Salomon ; mais la lutte même lui défendait le plagiat : copier n’est pas combattre ; M. de Lamartine ne l’a pas oublié un seul instant. Les images mêmes qui nous étonnent par la nouveauté, la hardiesse, nous sembleraient timides, si nous prenions la peine de les comparer aux images prodiguées par Salomon. L’imitation biblique chez le poète français n’a jamais rien de servile ; on dirait qu’en étudiant les traditions et les chants de la Judée, il a réussi à faire siens tous les sentimens qui animaient l’antique Orient. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il parle sans effort la langue d’Isaïe et de David ; les images bibliques se présentent à lui comme l’expression de sa pensée. Si j’avais besoin de prouver que les strophes du poète français, malgré les souvenirs qu’elles réveillent, sont vraiment originales, il me suffirait d’insister sur le caractère exclusivement sensuel du cantique hébreu. Salomon, comme Djamy, comme Hafiz, excelle à peindre le désir et la volupté ; il trouve pour l’ivresse, pour l’extase des sens, des paroles ardentes dont la splendeur n’a jamais été dépassée ; mais l’amour qu’il célèbre ne survit pas à la possession ; une fois rassasié des délices qu’il a souhaitées comme le dernier terme du bonheur humain, il s’énerve et languit. Comme il n’a rien rêvé au-delà des sens, et que la joie des sens est limitée dans sa durée, il s’attiédit et meurt au sein du bonheur même. Rien de pareil dans le cantique de M. de Lamartine, ou du moins, si quelques strophes nous peignent la joie des sens en couleurs éclatantes, le poète complète bientôt la peinture de la passion en ajoutant à l’expression du désir l’expression d’un ravissement qui survit au désir satisfait, à la possession même de la beauté. Il oublie le cantique de Salomon pour ne plus songer qu’à la fragilité du bonheur humain, pour se consoler dans l’espérance d’une vie meilleure. Il croit que les cœurs unis sur la terre par un mutuel et profond amour se retrouveront un jour dans une vie plus pure, plus sereine, et cette croyance ne se révèle pas une seule fois dans les versets de Salomon. Je me contente d’indiquer cette différence, que chacun peut vérifier. Il demeure donc démontré que les strophes du poète français, malgré leur couleur orientale, sont l’expression d’un sentiment vrai, d’une passion réellement éprouvée, et non le souvenir imaginaire d’un livre lu et relu pendant les années de sa jeunesse. La foi chrétienne joue un rôle important dans la peinture de l’amour tel que le comprend M. de Lamartine, aussi n’est-il pas permis de confondre cette élégie passionnée avec les élégies païennes, car le polythéisme n’avait rien de commun avec le sentiment exprimé par le poète français. Moins vive, moins éclatante que la poésie hébraïque,