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qui ne soutient pas la discussion. Que le récit des événemens accomplis, l’exposition d’une vérité morale, ou la démonstration d’une série de théorèmes, soient réglés par des lois rigoureuses, rien de mieux ; mais que l’imagination se plie à ces lois, c’est un rêve qui mérite tout au plus un sourire. Que le géomètre enseigne les propriétés des figures avant d’expliquer les propriétés des solides, c’est une nécessité à laquelle il ne peut se soustraire. Si le poète acceptait une telle condition, s’il confondait la poésie et la science, il ne produirait qu’une œuvre inanimée : il est dans la nature même de l’imagination de remanier à plusieurs reprises la même pensée, et de la renouveler par cela seul qu’elle l’interroge au milieu de circonstances diverses. L’ame heureuse ou affligée, fière ou abattue, n’aperçoit pas l’idée divine sous le même aspect, et cela suffit pour faire de l’idée divine le thème de chants très différens. C’est pourquoi je suis loin de blâmer M. de Lamartine. En écrivant Jéhovah, il ne se proposait pas de nous montrer la place infiniment petite de l’humanité dans la création ; il voulait célébrer la puissance divine. Quoique l’idée soit la même, elle est donc présentée sous deux faces diverses, et les deux pièces ne peuvent être accusées de ressemblance. Je regrette seulement que M. de Lamartine, dont l’imagination se prête si heureusement à la peinture de la grandeur divine, n’ait pas compris le danger des termes techniques. Je ne demande pas que la poésie, lors même qu’elle célèbre les merveilles des cieux, lutte de précision avec Delambre et Cassini ; mais elle ne peut se dispenser d’étudier la valeur des mots avant de les employer, et M. de Lamartine a négligé cette vulgaire précaution. Il parle sans façon des ellipses décrites par les étoiles, comme si la figure elliptique s’appliquait indifféremment au mouvement de tous les corps célestes. Il y a dans cette étourderie plus d’un péril. Les hommes uniquement occupés d’études littéraires ne connaissent guère que l’ellipse grammaticale, et pour eux le mouvement prêté aux étoiles par M. de Lamartine n’a pas de sens défini. Quant aux hommes qui savent la valeur géométrique de l’ellipse, ils ne peuvent lire sans sourire, et parfois même sans dépit, cette singulière bévue. Si les étoiles, en effet, décrivent une ellipse, et si, comme le pensent les astronomes dont l’autorité est reconnue par l’Europe savante, les étoiles sont le centre de systèmes analogues au système solaire dont notre planète fait partie, tout l’ordre du monde est renversé. Newton et Laplace ne savaient ce qu’ils disaient ; Copernic est un rêveur dont les affirmations ne méritent aucune foi. Voilà notre pauvre terre obligée de décrire un mouvement circulaire autour du soleil, qui décrit lui-même un mouvement elliptique. Se charge qui pourra de prévoir et de prédire les incroyables désordres engendrés par cette combinaison inattendue : climats, saisons, tout change. Il a suffi d’un trait de plume pour biffer toute la science humaine, ou du moins la partie la plus sublime et la plus parfaite de la science. Et qu’on ne