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ce qui ne peut être mis en doute par aucune intelligence sérieuse, qu’il n’y a pas dans le recueil entier des Harmonies une seule pièce qui se recommande par la même sobriété, par la même mesure que le Lac. Dans cette dernière pièce, en effet, il ne se rencontre pas une stance parasite, une stance qu’on voulût retrancher ; toutes les paroles portent coup, tous les sentimens trouvent un écho. L’ordonnance des idées, sans révéler un esprit habitué aux combinaisons symétriques, c’est-à-dire hostile à toutes les lois de la poésie, se distingue pourtant par une clarté, par une évidence qui ne laisse rien à désirer. Dans les Harmonies, l’intelligence la plus complaisante ne peut signaler rien de pareil ; l’ordonnance est toujours absente ; il est bien rare de rencontrer une idée qui ait une place déterminée, une place nécessaire ; la place assignée à l’expression d’un sentiment semble presque toujours un pur caprice ; la volonté, la prévoyance, n’interviennent presque jamais ; l’improvisation règne en souveraine, et traite avec un dédain absolu tous les calculs de la réflexion. Or, si un pareil procédé réussit sans peine à produire l’étonnement, il réussit bien rarement, je pourrais dire qu’il ne réussit jamais à produire l’admiration. Qu’on me pardonne de citer un proverbe qui, pour être vieux, n’en demeure pas moins vrai : le temps ne respecte pas volontiers ce qu’on fait sans lui. L’improvisation éblouit l’auditoire ; il est bien rare qu’elle éblouisse les lecteurs. Pour ceux qui écoutent et n’ont pas le loisir de songer, les paroles qui s’échappent en flots pressés des lèvres du poète sont des preuves irrécusables de puissance ; pour ceux qui lisent, à qui le temps ne manque pas pour méditer sur les pensées qu’ils ont recueillies, sur les images qu’ils ont vues passer devant leurs yeux, la question change d’aspect, l’indulgence est difficile, la sévérité devient nécessaire. Les applaudissemens prodigués avec complaisance dans un salon font place aux remarques les plus inattendues et pourtant les plus légitimes. Les Méditations ne sont pas exposées à un tel danger ; les Harmonies semblent prendre à tâche de le braver. Le poète des Harmonies semble dire au lecteur : -Voyez comme je suis puissant et fécond ! Je n’ai pas pris la peine de préparer les strophes que je vais vous réciter ; eh bien ! je suis pourtant sans inquiétude. Quoi que je puisse dire, je compte sur vos applaudissemens. Rien de vulgaire ne peut sortir de ma bouche. Écoutez et admirez. Respirer pour moi, c’est chanter ; vivre, c’est inventer. Pourquoi craindrais-je de m’abandonner aux chances de l’improvisation ? J’aurais beau faire, je ne réussirai pas à faiblir. — Le lecteur prête au poète une attention complaisante ; puis la réflexion vient, et la réflexion blâme sévèrement ce que l’étonnement avait amnistié.

À ces deux recueils si riches et qui ont obtenu et gardé depuis long-temps une si légitime admiration, M. de Lamartine a cru devoir ajouter un nombre considérable de pièces nouvelles ; je dis considérable,