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mériter les louanges qu’ils ont obtenues. Le style en est tour à tour pâteux et semé d’images qui nous dépaysent. Les comparaisons sont tirées des détails les plus vulgaires, de la réalité la plus triviale. Les pensées les plus vraies, en subissant le joug de ces métaphores inattendues, se dénaturent et se rapetissent. Les fentes du cœur, le cœur fêlé, l’amour qui s’évapore, impriment à toute cette pièce un caractère matérialiste qui contraste singulièrement avec les sentimens développés par l’auteur. Si le style de M. de Lamartine, dans ses œuvres les plus belles, ne présente pas toujours une irréprochable pureté, il se recommande du moins par l’élévation constante des images et le caractère exclusivement spiritualiste de l’inspiration. Les vers à M. de Musset dérogent à cette glorieuse habitude. Le cœur se réduit en tessons comme une misérable poterie ; l’amour s’évapore comme l’eau d’une bouilloire ; en un mot, la poésie disparaît et fait place au vulgaire entassement des images les plus banales. Parlerai-je d’une très longue pièce adressée à M. Hubert, et qui s’intitule : Ressouvenir du lac Léman ? Il y a dans cette conversation plusieurs traits de paysage dont la vérité ne peut être contestée ; mais ces traits heureux disparaissent au milieu des déclamations sans fin auxquelles M. de Lamartine se laisse aller : il ne sait pas s’arrêter et suit, en nous parlant de la Suisse, tous les procédés de Cyrus et de Clélie.

J’arrive enfin aux commentaires que M. de Lamartine a écrits sur les Méditations et les Harmonies. Ici, l’indulgence n’est pas permise. Ces pages que je redoutais, que j’aurais voulu pouvoir effacer à mesure qu’elles naissaient sous la plume de l’auteur, ne nous apprennent absolument rien et nous forcent trop souvent à nous apitoyer sur l’étrange importance que le poète attribue aux moindres circonstances de sa vie. En revenant de la Grande-Chartreuse, il est surpris par l’orage, il s’abrite sous un rocher, et, sans quitter la selle de son cheval, il écrit sur son genou les vers que nous avons lus et relus avec une ardente sympathie. N’est-ce pas là une révélation vraiment intéressante ? Ces vers ont été écrits à cheval, que la postérité reconnaissante ne l’oublie pas ! Qu’elle sache aussi que M. de Lamartine n’était pas seul dans ce pèlerinage à la Grande-Chartreuse : il accompagnait une femme charmante, la marquise de B., et la marquise était assise paisiblement au fond d’une grotte, tandis que le poète demeurait héroïquement sur la selle de son cheval. M. de Lamartine, dans cette assez risible occasion, trouve moyen de jouer à la fois le rôle de Louis XIV et le rôle de Dangeau. Il pose avec majesté, et il note ses moindres mouvemens comme si le récit de cette averse devait prendre place entre la bataille de Marathon et la bataille d’Arbelles. Il est vraiment difficile de pousser plus loin la puérilité ; cependant le poète a trouvé le moyen de dépasser cette limite qui semblait infranchissable. Une nuit, il avait mal dormi ; tranchons le mot, il avait passé une nuit blanche ; il se lève au