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ne veulent point admettre pourtant que la république dépende du suffrage universel. La république, c’est eux et leurs amis, c’est leur étroite orthodoxie, c’est leur intolérant catéchisme, je ne parle que de ceux qui sont honorables, sans quoi j’ajouterais, c’est la satisfaction égoïste de leur orgueil et de leurs appétits. La république, ainsi conçue par ces fiers cerveaux, s’explique assez aisément pour eux, et comme ils n’y voient point d’autres mystères, ils ne pardonnent pas au reste de la nation d’être moins sûre qu’eux-mêmes que la république lui convienne et de chercher à s’édifier. De là ces voix qui se grossissent, ces gestes qui s’emportent, ces scandales de tribune, ces sinistres rumeurs qui courent dans l’ombre. De là ces explosions calculées d’un fanatisme systématique qui annonce à coups de tam-tam qu’on est prêt à mourir plutôt que de se rendre : on essaie de faire peur aux gens. N’est-il pas vrai que, s’il est une manière d’ôter aux institutions républicaines ce qu’elles peuvent garder de prestige, c’est cette conduite des républicains forcenés ? N’est-il pas vrai que ce tapage affecté n’aboutit qu’à stimuler davantage les sentimens qu’il a l’air de braver, tourne rapidement contre ceux qui l’exécutent, et dégoûte de l’opinion qu’ils prétendent ainsi servir ? On verra combien à la longue il en restera qui ne s’apercevront point de l’abîme où ils poussent leur fortune et leur drapeau, ou qui, s’en apercevant, l’y pousseront toujours par entêtement et par colère.

Enfin, et c’est notre troisième point, qui n’est pas le moins singulier, à côté de ces désespérés qui ne veulent à aucun prix de la révision, il y a des sages qui, d’un très grand calme, professent qu’ils en voudraient bien, si elle était possible, mais qui, la déclarant d’avance impraticable, donnent en même temps à comprendre qu’il ne leur coûte guère de se résigner à s’en passer. N’est-il pas vrai que cette résignation doit paraître au moins étonnante chez des hommes d’état qui savent, à n’en pas douter, tous les vices de la constitution de 1848, n’ayant eux-mêmes réussi dans l’origine qu’à lui épargner les plus gros, sans pouvoir la préserver des inconvéniens inséparables du milieu d’où elle émanait ? Quels que soient les motifs qui semblent aujourd’hui les tranquilliser sur les éventualités de 1852, pour les dispenser de s’en beaucoup inquiéter d’avance, quels que soient les motifs plus ou moins particuliers de cette attitude indifférente, n’est-il pas vrai qu’une pareille attitude en face d’un avenir si proche et si sombre contraste péniblement avec les préoccupations du pays, et ne lui impose point de manière à lui rendre plus de confiance ? Si peu qu’on regarde autour de soi, et plus encore dans le pays que dans l’assemblée, on ne saurait se dissimuler que quiconque prendra froidement cette question capitale de la révision se trouvera bientôt en dehors du courant de l’opinion, d’un courant, non pas capricieux et fugitif, mais durable et profond. N’est-il pas vrai que cette scission qui se ferait entre l’opinion et les chefs parlementaires qu’elle aime à respecter et à suivre finirait par être une cause de discrédit pour eux et de désarroi pour tous ?

Tels sont les points principaux auxquels la pensée s’arrête naturellement, quand on observe la crise présente ; tels sont les points sur lesquels il faut avoir une conviction faite pour se faire aussi une conduite en face des circonstances prochaines dans lesquelles tout homme sera peut-être plus personnellement