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titre de Mélanges de Philosophie, d’Histoire et de Littérature ; l’auteur passe sans effort d’une critique des Soirées de Saint-Pétersbourg à un article sur les Mémoires de Bassompierre, d’une analyse de l’Essai sur la Réformation de Charles de Villers à une étude sur les Méditations poétiques de M. de Lamartine. Un des traits distinctifs du talent de M. de Feletz, c’est, à travers beaucoup de fermeté de critique et de jugement, une aisance familière, un atticisme aimable et piquant, une humeur ingénieuse et polie. Il est des esprits aux yeux desquels cette politesse passe pour un signe de frivolité. Ce n’est point l’avis de La Bruyère, qui disait : « Il faut très peu de fonds pour la politesse dans les manières, il en faut beaucoup pour celle de l’esprit. » Quelque peu gentilhomme de naissance, tenant à l’église par état, très assuré sur les choses de conscience et de conviction, aimant le monde et en étant aimé, l’abbé de Feletz était aussi peu que possible homme de lettres de profession. Un des préjugés les plus bizarres et les plus excessifs de notre temps, c’est de faire de l’écrivain un être singulier, vivant en dehors de la vie commune, se nourrissant de son imagination et ayant pour profession, si ce n’est pour industrie, d’instruire ou d’amuser. M. de Feletz n’était rien de cela, et il était mieux que cela : c’était un homme du monde tenant la plume et résumant souvent une conversation entre gens de goût en lui donnant une forme vive et animée. Il avait conservé beaucoup des habitudes du XVIIe et du XVIIIe siècle. Pour nous servir encore du langage de La Bruyère, c’était un de ces esprits fins, délicats, subtils, vigoureux, propres à briller dans les conversations et dans les cercles, et qui arrivent à faire les critiques les plus goûtés, quand ils s’en mêlent. Comme pour mieux prouver qu’il était le moins possible homme de lettres de profession, M. de Feletz s’était retiré de la critique avant que le succès se retirât de lui ; c’est ce qui explique comment il était peu connu des générations nouvelles et aimé de tous ceux qui avaient pu goûter une fois l’atticisme de son esprit. Nous ne faisons ici que résumer quelques-uns des traits principaux spirituellement esquissés par M. Saint-Marc Girardin et M. Nisard, le successeur de M. de Feletz.

Nous ne savons s’il est encore quelqu’un qui soit surpris de l’entrée de M. Nisard à l’Académie. Cette vieille et éternelle plaisanterie d’une académie refusée, par opposition à l’académie officielle, est fort passée de mode, et aurait peu de succès à être reprise par les romanciers aux abois. Il est probable qu’à l’avenir plus d’un critique aura encore le pas sur plus d’un romancier. Plus même ce critique aura marqué d’un fer brûlant les turpitudes effrénées du drame et du roman modernes, plus il aura de titres aux yeux de l’Académie et aux yeux du public. Ç’a été l’honneur de M. Nisard d’avoir l’un des premiers généreusement signalé les hideux excès de l’imagination moderne, et d’avoir infligé à tout un genre l’épithète de littérature facile. Le mot ne disait pas tout assurément, mais il a survécu comme un stigmate une fois imprimé à tout un ordre de compositions malsaines. M. Nisard a fait depuis des travaux plus élevés, des livres plus savans et plus étendus, il a eu de plus sérieux succès ; nul n’a égalé pour lui peut-être le succès de 1834, de même que l’auteur n’a rien écrit qui surpasse en verve honnête et franche cette brillante polémique. Ç’a été pour M. Nisard, si l’on nous passe ce terme, l’heure de sa vie littéraire marquée