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et correctes ; c’était délicieux à entendre, mais monotone à écouter on aurait désiré une aspérité à cette voix de velours pour y accrocher une émotion. Dans la musique bouffe, demi-souriante, demi-attendrie, le talent de Mlle Alboni est complet. Le plaisir, la joie, mettent leur étincelle là où il faut ; la mélodie vive d’allure sort tout épanouie en jets vigoureux et puissans. L’organisation de l’artiste se sent à l’aise et prend ses coudées franches, son visage même si gracieux et si ouvert, heureux de laisser les grands airs tragiques, subit comme le reste une transformation. Mlle Alboni dit d’une façon ravissante une petite chanson dont le motif revient souvent et explique la situation du poème ; elle la dit ou naïvement ou avec malice, la note simple, ou éblouissante de fioritures ; s’il fallait analyser de combien de trilles, d’arpèges, de gammes ascendantes et descendantes elle se fait un jeu, ne laissant jamais le son se poser sans prendre haleine, jouant avec sa voix comme Paganini avec son violon, tout le vocabulaire musical y passerait. Mlle Nau fait de son mieux et gazouille du bout des lèvres avec une méthode qui n’est pas sans charme, mais qui manque absolument de force et de couleur. Elle seconde Mlle Alboni, et il faut l’avouer à la honte de notre première scène lyrique, personne autre qu’elle n’était en état de lui donner la réplique, et, malgré l’invraisemblance flagrante qui fait de Mlle Nau la fille de Mlle Alboni, il a bien fallu passer par là : libre aux spectateurs de se faire des illusions.

Puisque nous sommes en train de parler des opéras écrits pour des chanteurs, il ne faut pas oublier de signaler pour mémoire, car, hélas ! la critique en a fait justice, un opéra, Sapho, écrit pour mettre en lumière le côté antique du talent de Mme Viardot. On a dit, dans le monde, que la musique de cette partition avait été composée sous l’inspiration et même avec la collaboration de l’artiste. Nous avons trop bonne opinion du talent musical et du goût de Mme Viardot pour penser que, si elle avait travaillé à cette œuvre, elle ne s’y fût pas montrée plus à son avantage ; quand on écrit pour soi, ordinairement on soigne mieux ses intérêts. Ceci nous amène naturellement à dire que vu la facilité avec laquelle de pareils ouvrages se produisent, Sapho et le Démon de la Nuit, par exemple, il n’est plus permis de prétendre que la carrière est fermée au talent inconnu ; les portes de l’Opéra doivent être grandement ouvertes au contraire, puisque, soit disette ou bon vouloir, on accepte et on fait étudier à des artistes sérieux d’aussi déplorables essais. Heureusement pour l’Opéra que le succès de la Corbeille d’Oranges et la présence de Mlle Alboni viennent réparer le double échec de Sapho et de la cantatrice.

F. DE LAGENEVAIS.


La Séparation des Apôtres, gravée à l’aqua-tinte par M. Gautier, d’après M. Ch. Gleyre[1]. — Le tableau que M. Gautier vient de reproduire dans une estampe, estimable à beaucoup d’égards, fut exposé au salon de 1845. Peut-être, à cette époque, ne rendit-on qu’une justice incomplète aux qualités qui distinguent l’œuvre de M. Gleyre ; il serait à désirer qu’un succès plus général l’accueillît aujourd’hui, et que la gravure réussit à populariser cette composition tout-à-fait neuve, et cependant intelligible au premier coup-d’œil. Réunis une dernière

  1. Paris, chez Goupil et compagnie, boulevard Montmartre.