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lucrative. Enfin on soumit le consistoire de l’église protestante à l’élection populaire, pour le mettre en harmonie avec les autres institutions de la démocratie. Quant aux catholiques, on ne put rien changer aux traités de 1815, qui avaient réglé leurs intérêts religieux.

La constitution fut votée par les citoyens en juin 1842 ; sur 11,586 électeurs, 5,426 seulement prirent part à cette votation ; le nombre des acceptans s’éleva à 4,842. On procéda immédiatement aux élections du grand conseil, où la même majorité l’emporta d’une manière plus décisive encore que dans la constituante, et ensuite à celles du conseil d’état, qui fut composé d’hommes nouveaux, sauf trois membres de l’ancien gouvernement. M. le syndic Rigaud, porté au grand conseil par les suffrages de quatre collèges, se retrouva chef du pouvoir exécutif, comme avant le 22 novembre. Un pareil résultat ne répondait guère aux espérances des radicaux. Aussi, quoiqu’ils eussent obtenu la majorité dans l’élection pour le conseil municipal de la ville de Genève, ne tardèrent-ils pas à s’organiser en opposition turbulente contre le régime issu du suffrage universel. Des clubs s’établirent pour agiter le peuple en excitant ses défiances contre le conseil d’état, qu’on représentait comme n’ayant d’autre préoccupation que d’escamoter le triomphe de la démocratie. Pendant les derniers mois de 1842, l’irritation fit de tels progrès, que les conservateurs crurent devoir prendre, de leur côté, quelques mesures défensives. Ils formèrent entre eux des espèces d’embrigademens destinés, si cela devenait nécessaire, à protéger le gouvernement contre l’émeute. Les passions s’animaient, la tribune du grand conseil était habituellement envahie par des perturbateurs qui s’essayaient à exercer une pression sur ses débats ; les députés les plus courageux étaient insultés dans la rue au sortir des séances ; de part et d’autre, on se préparait à la guerre civile, qui semblait inévitable.

En effet, le 23 février 1843, à propos d’un article de loi sur les visites domiciliaires, l’émeute éclata dans la tribune ; des menaces et des cris de mort se firent entendre contre les membres de la majorité du grand conseil. L’énergie du président fit évacuer la tribune ; mais, tandis que la discussion continuait à huis-clos, l’émeute parcourait la ville, et des rixes violentes s’engageaient sur plusieurs points. Après une lutte assez vive, les insurgés furent néanmoins mis en pleine déroute. Malheureusement, après la victoire, on poussa, vis-à-vis des vaincus, la générosité jusqu’à la faiblesse : on leur accorda une amnistie complète. C’était mal connaître les radicaux. Le langage de leurs journaux n’en devint que plus insolent, et, le calme apparent qui suivit détournant l’attention publique du travail souterrain qui s’accomplissait dans les bas-fonds de la société, on se crut à l’abri de nouvelles tentatives révolutionnaires.

Genève, à vrai dire, ne semblait pas avoir trop souffert jusqu’à ce jour des changemens apportés à sa constitution. On voguait en pleine démocratie, sans ressentir encore les inconvéniens du nouveau régime. Le suffrage universel donnait des résultats tels qu’on n’avait point d’abord osé les espérer. Le gouvernement suivait une politique très modérée, mais ferme, repoussant les suggestions de l’esprit de parti, et cherchant à effacer les traces des conflits antérieurs, à rétablir la concorde entre les citoyens des diverses classes de la société. Les années 1844 et 1845 s’écoulèrent donc assez paisibles ; la révolution vaudoise agita bien quelque peu les esprits, mais l’attitude ferme du parti conservateur