Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1061

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus petites choses la volonté humaine était pliée au joug du devoir. Sous un autre rapport, le Journal de Rigaud mérite de fixer l’attention des historiens ; il prouve que, toutes les fois que des symptômes de décadence se manifestent dans l’église, il se rencontra toujours au sein de l’église elle-même des hommes éclairés et sages qui s’efforcèrent d’arrêter les progrès du mal. Le relâchement de la discipline, les mauvaises mœurs des moines, les richesses immenses du clergé furent, on le sait, l’une des causes les plus puissantes du triomphe de la réforme, et l’histoire, qui se range trop souvent du parti des vainqueurs, a dressé un piédestal à Luther, parce qu’il avait signalé au mépris du monde les désordres qui de son temps déshonoraient le cloître et le sanctuaire ; mais ce que l’histoire n’a pas dit, c’est que les abus signalés par Luther avaient été dans l’église gallicane constamment combattus avec plus de rigidité et d’éloquence peut-être par des hommes qui, tout en restant dans le cercle inflexible de la tradition dogmatique, pressentaient de loin la révolution du XVIe siècle, et cherchaient à la prévenir, comme on prévient les révolutions, par de sages réformes. L’archevêque Rigaud fut du nombre, et de la sorte il se rattache à cette école à la fois progressiste et conservatrice qui est si dignement représentée dans le haut clergé par saint Bernard, Pierre d’Ailly et Gerson, et dans les rangs inférieurs par les prédicateurs populaires Thomas Connecte, Guillaume Pepin, Maillard et Menot.

Les institutions civiles, les mœurs, les traditions, les monumens, ont été, sur tous les points de la Normandie, étudiés, décrits, dessinés, restaurés avec un zèle infatigable. Les monographies locales sont très nombreuses, et nous avons distingué dans le nombre, moins peut-être sous le rapport de la science que sous le point de vue d’une originalité attrayante, les Essais historiques de M. Decorde, curé de Bures, sur les cantons de Neufchâtel, de Londinières et de Blangy. Enfant de la campagne et, comme il le dit avec un juste sentiment de la noblesse de cette profession, fils de cultivateur, l’auteur des Essais historiques n’affiche aucune prétention au titre de savant. Il aime son pays, il en connaît tous les paysages, toutes les églises, toutes les familles, celles du pauvre comme celles du riche, et il raconte avec une grande simplicité ce que lui ont appris, sur ce pays qu’il ne quittera sans doute jamais, les vieux parchemins, les traditions, les causeries vagabondes à travers les champs et les bois. Les livres de M. Decorde ressemblent à ces petits jardins des presbytères de campagne, où l’on respire, avec le parfum des fleurs sauvages, le calme et la paix. Tout y est simple, honnête, et c’est toujours le bon curé qui cause avec ses paroissiens. L’auteur, qui ne s’inquiète guère des transitions, des péroraisons ou des exordes, commence l’histoire du canton de Londinières par une dissertation sur l’ornithologie de ce canton, dissertation qui se termine par une recette pour l’embaumement d’après le procédé Gannat. Des oiseaux, il passe aux druides, et aux Celtes ; puis il entre dans les cimetières pour livre les épitaphes. Il monte dans tous les clochers pour apprendre l’âge et le nom des cloches, et, à propos de la cloche, il fait l’histoire de la marraine, et, par la même occasion, l’histoire du parrain. Savez-vous, par exemple, pourquoi la plus belle cloche de Bures s’appelait Gabrielle ? C’est que, dans la brillante campagne d’Arques, la belle Gabrielle habitait le château de Tourpes, aux environs de Bures ; qu’Henri IV était alors à Arques, et qu’il allait souvent à Tourpes déguisé en marchand de