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terrible fait au nom du peuple n’a point été réclamé par lui, que la révolution dans laquelle ce peuple ne fut jamais qu’un instrument aveugle avait été préparée à son insu par les parlemens, les philosophes, la portion la plus riche de la bourgeoisie, et qu’enfin, dans tous les temps, y compris le nôtre, l’ébranlement révolutionnaire n’est jamais parti d’en bas, comme s’il était fatalement dans le rôle de la bourgeoisie française de déchaîner les passions pour les comprimer ensuite, quand elles la menacent elle-même.

La partie de l’histoire de Rennes relative à la période qui s’étend de 89 aux premières années de l’empire présente aussi un tableau instructif. Dégagée de la fantasmagorie des grandes assemblées populaires, loin des tribuns et de l’émeute, la révolution, dans les villes des provinces, se montre sous un jour particulier, avec moins d’apparat et une réalité plus appréciable. Ce qui paraît gigantesque sur une scène où s’agitent deux cent mille hommes est souvent ridicule dans un chef-lieu de district, sur un théâtre occupé par quelques centaines de comparses plus ou moins obscurs. Que l’échafaud se dresse pour les rois ou les hommes qui pèsent sur les destinées d’un pays, on peut invoquer, pour justifier le meurtre, le salut public et la raison d’état ; mais qu’il se dresse pour des vieillards, d’humbles ouvriers, de faibles femmes que devrait protéger leur inoffensive obscurité, alors l’assassinat politique perd pour ainsi dire son prestige, et il n’est plus qu’un de ces crimes vulgaires qui révoltent la conscience des nations. C’est là ce qui explique la différence profonde qui sépare les histoires de la révolution écrites dans la province, au point de vue d’une localité restreinte, des histoires générales écrites à Paris. L’histoire générale, nous ne l’avons que trop vu dans ces dernières années, adoptant à son insu toutes les théories de Machiavel, justifie tout par la doctrine de la nécessité. Quelquefois même elle réhabilite la terreur, comme l’école ultra-catholique réhabilite la Saint-Barthélemy, par la doctrine cruelle des rigueurs salutaires. L’idylle terroriste fleurit sous la rosée sanglante de la guillotine, et la pitié est étouffée par la métaphysique du progrès humanitaire. En province, au contraire, on reste dans la simple appréciation des faits : on se souvient des victimes ; on sait comment et pourquoi elles ont été immolées ; on connaît par la tradition vivante et non par les apothéoses mensongères des partis ces affreux proconsuls qui promenaient dans les villes l’instrument de mort, et personne n’oserait les défendre ou les réhabiliter sur le théâtre même de leurs crimes. Sur ce point, l’école historique de la province est unanime : elle accepte et défend la révolution française en ce qu’elle a de grand, de sagement réformateur ; elle flétrit les excès, qui n’ont fait, en dernière analyse, que nuire à la cause du véritable progrès ; en un mot, elle se rallie aux principes de 89 et repousse avec indignation les doctrines de 93. Cette distinction est établie à chaque page dans l’histoire de Rennes moderne, et le tableau que trace M. Marteville de l’état de l’opinion dans la capitale de la Bretagne montre bien quels étaient à cette époque les sentimens de la partie saine et vraiment éclairée de la population des provinces. Les Rennais étaient également hostiles à la tyrannie des sociétés populaires et aux ténébreuses intrigues de ceux qui conspiraient avec l’étranger. En même temps qu’ils combattaient la chouannerie et qu’ils marchaient vaillamment à la défense des frontières, ils demandaient, dans une adresse remarquable, que la convention échappât à la pression des jacobins, et donnât à la