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a toujours Dieu au fond de son cœur ; le catholique, au contraire, plaçant Dieu on ne sait où, dans un paradis qui n’existe pas, dans un monde transcendantal dont nous n’avons pas de nouvelles, est sans cesse exposé à le perdre. Le premier objet, majestueux qui frappera ses regards lui donnera ’ le change. Au XVIIe siècle, c’est le roi, c’est Louis XIV qui occupe la place du Tout-Puissant ; c’est lui qu’on adore, lui qui tient les cœurs dans sa main et sous son autorité suprême, lui qui établit l’ordre dans la maison d’Orgon ! Nous pensions que le catholicisme n’était pas responsable des flatteries consacrées alors par la doctrine du droit divin ; il nous semblait que Bossuet, le plus grand théoricien de cette doctrine, s’était soustrait plus d’une fois à cette fâcheuse influence pour faire entendre au monarque infatué le redoutable langage d’un évêque ; M. Schmidt veut bien nous avertir de notre erreur, Si Molière a flatté Louis XIV, ce n’était pas le comédien tant de fois menacé qui cherchait par là un appui auprès du souverain absolu, c’était le romantisme catholique qui, à son insu ou non, s’exprimait par la bouche du poète. Le romantisme n’éclate-t-il pas aussi dans le Misanthrope ? La pièce est ridicule et maussade ; comme le Tartufe, elle n’offre d’intérêt que par les révélations dont elle abonde sur l’exégèse et l’histoire des religions. M. Schmidt y a fait cette découverte inattendue : Alceste est protestant, Philinte est catholique. La morale de la pièce est à peu près celle-ci : Alceste est protestant, Philinte est catholique. La moral de la pièce est à peu près celle-ci : Fais ce que fait tout le monde sous peine d’être raillé, — et tel est aussi, à en croire M. Schmidt, l’enseignement fondamental du catholicisme. Apprenez, Français légers, que la philosophie de l’histoire nous donne seule l’explication des œuvres, étourdiment applaudies par la foule ; apprenez, s’il se peut, à déchiffrer vos poètes !

Après de si curieuses révélations, on devrait s’attendre à tout. Le second volume cependant ne ressemble pas au premier ; on est surpris d’y trouver de la science et quelques chapitres de bonne critique. Est-ce parce qu’il y est question de l’Allemagne, parce que l’auteur connaît mieux son sujet, parce que ses formules scolastiques, appliquées aux philosophes et même aux poètes de son pays, nous paraissent moins barbares que tout à l’heure ? C’est surtout, je crois, parce que l’auteur y abandonne un peu son système, et qu’il renonce aux opinions toutes faites d’avance. Il laisse Kant et Herder, Schiller et Goethe, se mouvoir avec plus de liberté dans son tableau ; il fait preuve de connaissances variées et rencontre parfois des rapprochemens heureux. On peut recommander surtout, comme un travail assez distingué, bien que discutable en maints endroits, la peinture de l’école spécialement appelée romantique. Si M. Julien Schmidt s’était borné à ce sujet qu’il connaît dans ses intimes détails, si, développant les pages que je signale, il se fût attaché à reproduire complètement le singulier mouvement d’idées qui enivra des poètes comme Novalis, des théologiens comme Schleiermacher, il eût produit une œuvre vivante au lieu d’une philosophie de l’histoire toute remplie de formules creuses et de portraits estropiés.

La philosophie de l’histoire ! voilà l’ambition qui égare tant d’esprits en Allemagne. C’est à qui gouvernera le passé à sa guise, à qui prononcera le jugement de Dieu sur le travail des siècles. Depuis Hegel jusqu’au plus humble des literats, il n’est pas un écrivain qui n’ait résolu d’une façon ou d’une autre l’insoluble problème de la destinée du genre humain sur la terre et proclamé