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pour le suffrage universel après en avoir dit tant de mal ? Ce n’est pas seulement parce qu’ils ont peur, quoiqu’ils développent sur tous les tons ce pitoyable argument de la peur ; c’est parce qu’ils sont assez insensés pour espérer mieux, en faveur de la candidature du prince Louis Bonaparte des aveugles entraînemens d’une masse turbulente que du véritable jugement de la nation, comme les autres espèrent mieux de la candidature du prince de Joinville, s’ils réussissent à la transporter dans la sphère plus étroite et plus factice des assemblées. Le pays ne doit pourtant plus se laisser ni supplanter ni écraser, ou ce sera sa dernière démission. Quant à la loi du 31 mai en particulier, nous n’en sommes pas à faire notre profession de foi ; nous n’avons pas assez d’étonnement lorsque nous voyons prôner comme un moyen d’ordre et de conservation la restitution pure et simple d’un instrument de désordre et d’anarchie. Le suffrage illimité n’a jamais été pour nous quelque chose de vénérable ; nous pouvons nous rendre ce témoignage, que nous l’avons constamment apprécié dans de pareils termes, du temps même où des esprits plus faciles à gagner lui demandaient naïvement le salut d’une société qu’il n’était bon qu’à bouleverser.

Mais enfin, nous crie-t-on encore, donnez la loi du 31 mai, on vous donnera la révision ! Nous répondons d’ordinaire avec M. de Falloux : Donnez la révision, et nous vous donnerons la loi du 31 mai ! Nous répondrons cette fois par une citation de date encore plus fraîche, et d’une franchise après laquelle il n’y a plus, comme on dit, qu’à tirer l’échelle. C’est un tournoi quasi-oratoire qui s’est passé dans le sein du conseil-général du Puy-de-Dôme, en pleine Auvergne, entre gens qui ne marchandent pas les mots. Ce héros de sincérité radicale, dont nous recommandons l’exemple à tous les frères et amis, s’appelle M. Duchassaint. « Si vous voulez la révision, interrompt-il, commencez par demander l’abrogation de la loi du 31 mai ! Suivez le dialogue.

« M. Chassaingne-Goyon. – Si vous obteniez cette abrogation, voteriez-vous cette révision qui vous épouvante ?

« M. Duchassaint. – Non, car si l’on veut la révision, c’est pour tuer la république.

« M. Chassaigne-Goyon. — Vous le voyez, messieurs, ce n’est pas seulement le retrait de la loi du 31 mai que l’opposition désire. À peine aurait-elle obtenu l’annulation de cette loi, qu’elle détruirait une à une les digues que nous avons élevées contre l’envahissement de la démagogie, et nous conduirait à un bouleversement général ! »

Nous répétons littéralement cette scène de famille, et nous prions qu’on nous dise lequel parle d’or, ou de l’humble et modeste représentant du Puy-de-Dôme qui provoque ces aveux dont la faction radicale est plus ménagère à Paris, ou de ces illustres publicistes parisiens qui se bouchent les oreilles et les yeux pour ne pas voir un danger, sous prétexte d’en éloigner un autre. Le danger qu’ils ne veulent pas voir, c’est le sérieux, le perpétuel, c’est le déchaînement de ces passions démagogiques qui, dans tous les temps, comme la bête de la fable, pour un pied qu’on leur cédait, en ont bientôt pris quatre. Ces passions ne sont pas près de se ralentir. Nous observons nous-mêmes que nous terminons souvent ces esquisses de notre situation intérieure par un aperçu des progrès où des tentatives de la république rouge. Ce n’est pas nous qui retombons exprès dans cette monotonie d’un même tableau final ; c’est le tableau