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qui chaque fois se trace en quelque sorte tout seul, parce que chaque fois des faits nouveaux s’y ajoutent. Il y a quinze jours, un mois, c’était le procès de Lyon ; aujourd’hui, c’est ce complot franco-allemand dont les gros bonnets récusent la solidarité jusqu’à ce que leurs dénégations audacieuses reçoivent devant la justice quelque terrible démenti. En attendant, les ignorans et les fous se font prendre à la place des malins et des savans. Le gouvernement, obligé de pourvoir avant tout à la sécurité publique, renvoie les étrangers dépourvus de moyens avoués d’existence, et, les innocens pourront ainsi pâtir pour les coupables. Les chefs de la propagande européenne, qui tiennent les fils de toute cette agitation, se soucient bien des minces infortunes dont ils sont les auteurs ! De quoi se soucient, hélas ! tous ces grands démocrates, excepté d’eux-mêmes, de leur orgueil et de leurs jouissances ? Nous avons rapporté les tristes témoignages du procès de Lyon ; ceux du procès d’Agen ne sont pas moins instructifs. On voit encore là comment se jugent entre eux certains républicains de la veille ce sont leurs journaux, leurs lettres qui déposent. « Pourquoi iraient-ils, écrivent ceux d’en bas en parlant de ceux d’en haut, pourquoi iraient-ils compromettre leur position et leurs intérêts de fortune ? Ils se résignent, au prix de 25 fr. par jour, à recevoir tous les soufflets de la réaction. » Et comme ceux d’en bas ne sont pas après tout des anges de douceur et de vertu, ils appellent leurs frères privilégiés des gredins, des jésuites, des burgraves rouges, et se promettent bien « d’en faire bonne justice au jour décisif, dans ce jour pour lequel ils tiennent les masses prêtes. » Que sera-ce dont des burgraves blancs ? Nous citons avec intention ces fragmens épars de la langue démagogique. Vis-à-vis de ces niaises fureurs, tous les honnêtes gens trouvent naturellement au fond d’eux-mêmes une telle décision de conscience, qu’ils se sentent aussitôt d’un seul et même parti contre celui-là. Il n’y a plus de chicanes ni de subtilités qui tiennent ; il n’est plus permis de rester indifférent, comme on peut l’être en présence des misères dont nous ne parvenons pas à dépouiller le train ordinaire de notre vie politique. Dans les questions de personnes et de stratégie, nous sommes presque malgré nous des sceptiques ; nous avons tant vu de masques et de fausses routes ! — Mais lorsqu’il y a de la société même qui nous a nourris, que nous devons, à tout prix, défendre, nous n’avons jamais été, nous ne serons jamais que des soldats.

Nous voudrions qu’au milieu des combinaisons que les partis méditent pour résoudre, chacun à son avantage, la crise intérieure de 1852, tous cependant gardassent également la pensée salutaire des mesures qu’on prépare aussi du dehors pour faire face aux éventualités de cette date menaçante. La situation que prennent à nos portes les puissances étrangères est un des avertissemens les plus sérieux qu’un peuple puisse recevoir de ses voisins et cette perspective extérieure, qui devient chaque jour plus distincte, devrait nous rendre plus sages. Il est facile d’en appeler aux susceptibilités du patriotisme national, de jeter le gant à l’Europe, de la défier, de lui déclarer qu’on ne s’inquiète ni de ses alarmes, ni de ses précautions, et qu’on brave les unes aussi bien que les autres. Quand on s’est donné corps et ame aux espérances de la révolution démagogique, il est tout naturel de prétendre qu’on aura le loisir d’allumer, dans sa propre maison autant d’incendies qu’on voudra et le droit même de les porter dans la maison d’autrui ; mais pour peu qu’on soit resté un