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et d’élèves. De là viennent ces longs attelages qui chaque automne animent des chemins habituellement solitaires. Comme les moissons, les vendanges et tous les travaux de la campagne qui se font en commun, l’approvisionnement de tangue est une fête. Par un beau jour, on part en convoi de chaque village ; chacun emporte des vivres et du fourrage pour la route ; d’interminables files de chariots s’avancent au travers des prairies sur des chemins bordés de pommiers. Midi sonne ;… aussitôt toutes ces caravanes champêtres s’arrêtent et se trouvent, comme par enchantement, réunies à des haltes que leur présence a déjà égayées les années précédentes. Des tonneaux établis sur la route versent le cidre et la joie à grands flots. Les femmes prennent leur part de la fête. Si quelques-uns des anciens habitués manquent au rendez-vous, de nouveaux venus les remplacent, et l’on ne lève ce camp improvisé qu’en se promettant de s’y retrouver. C’est ainsi que le plaisir entraîne à d’utiles labeurs, et sert parfois de véhicule au bien qui s’obtiendrait mal par la contrainte.

D’après un travail mis sous les yeux du conseil-général de la Manche, l’emploi de la tangue dans le pays ne remonterait pas au-delà du dernier quart du XVIIIe siècle. Il est beaucoup plus ancien ; seulement il devait être fort restreint quand le pays manquait de communications. L’intendant de la généralité en faisait mention dans un mémoire de 1698 comme de tout autre chose qu’une nouveauté.

La place ne manque pas plus le long de la côte aux créations nouvelles qu’aux améliorations agricoles sur lesquelles doit se fonder le progrès de la navigation, et le voisinage de la tangue facilite également les unes et les autres. Du cap de la Hague à la baie du Mont-Saint-Michel, 46 communes sont riveraines de la mer. Sur une étendue totale de 52,448 hectares, elles en comprennent 14,251 de terres encore vierges du travail de l’homme[1]. Tant que les produits du sol n’ont trouvé

  1. Ces chiffres sont extraits des résumés des matrices cadastrales déposées au ministère des finances. Voici comment se répartissent entre les cantons du littoral les étendues respectives des terres cultivées et des terres incultes des communes riveraines de la mer.
    CANTONS TERRES CULTIVÉES TERRES INCULTES
    hectares hectares
    Beaumont 4,252 2,455
    Les Pieux 5,115 876
    Barneville 4,787 2,269
    La Haie du Puits 1,845 1,048
    Lessay 5,937 3,911
    Saint-Malo-la-Lande 4,524 1,392
    Montmartin-sur-Mer 1,917 400
    Bréhal 3,278 1,108
    Granville 2,842 311
    Sartilly 3,699 481
    38,197 14,251
    total 52,448