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LA DERNIERE EXPEDITION


DE KABYLIE.[1].




I.

Ce fut un grand vaurien dans sa jeunesse qu’Ali-Ben-Hamed, et pourtant, de tous les habitués du café de Si-Lakdar à Constantine, Ali était mon meilleur ami. Au fait, devait-on lui chercher chicane de n’avoir eu personne qui lui enseignât les délicatesses dont notre civilisation est si fière ? Sa vie fut celle d’un soldat des beys. Riche souvent quand le coup de main réussissait, pauvre le reste du temps, calme et patient toujours, il avait déchargé son dernier fusil du haut des remparts en 1837, et depuis lors, soumis et résigné, Ali n’avait gardé du service que ses longues moustaches et un regard qui sentait encore le Turc habitué à la domination

Vers la fin du mois d’avril dernier, soucieux et inquiet, car je craignais de ne point faire partie de l’expédition de kabylie dont le départ était annoncé pour les premiers jours du mois de mai, je me promenais sur la petite plate-forme carrée que l’on nomme la place de Constantine, quand la figure d’Ali me revint à l’esprit. Plus d’une fois, j’étais parvenu à le faire parler entre les deux longues bouffées de tabac qu’il aspirait jusqu’au fond de sa poitrine. Les récits du temps

  1. Le récit qu’on va lire n’était point destiné à la publicité. Nous avons cru néanmoins devoir réunir et mettre en ordre ces souvenirs, recueillis à la hâte durant une courte, mais glorieuse campagne, par un de nos anciens compagnons d’Afrique. Il nous a semblé que tout ce qui touchait à notre armée était le bien de la France, et que nous remplissions un devoir en publiant une relation où il y avait de la gloire pour quelques-uns et de l’honneur pour tous.