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parapluie. Tous les meubles nécessaires sont empaquetés avec la maison. Voici un excellent matelas élastique qui se gonfle à volonté ; ces chiffons, ce sont des coussins dans lesquels il s’agit de souffler pour en faire de bons fauteuils. Voulez-vous, par une belle soirée, respirer l’air pur devant votre porte ? Enflez cette longue lanière, vous la convertirez aussitôt en un banc très comfortable où vous pourrez prendre place avec toute votre famille. Vous plaît-il de naviguer, un fleuve se rencontre-t-il qu’il faille traverser ? Prenez ce paletot ; vous n’avez jamais vu son pareil. À première vue, rien ne le distingue d’un macintosch ordinaire, et il ressemble, à s’y méprendre, à ceux que portent les dandies de Hyde-Park ou des Champs-Élysées. Seulement dans une poche se trouve un petit soufflet dont vous ajustez le tube à une boutonnière. Le paletot aussitôt se gonfle, se métamorphose et prend la forme et les qualités d’un excellent canot. Deux petites rames sont cachées au fond de la malle ; vous vous embarquez assis sur la caisse qui renferme votre maison, et, la rivière passée, le canot reprend sa figure première. Selon l’état de l’atmosphère, il redevient vêtement, ou disparaît dans la petite caisse, se faisant ainsi de contenant contenu. — Un peu plus loin, vous voyez une machine de cuivre grosse comme une carafe : c’est un tourne-broche, pensez-vous ; point, c’est un tailleur. Montez cette mécanique, présentez un bout d’étoffe à son engrenage ; aussitôt elle s’agite, elle tourne, elle crie ; des ciseaux se présentent qui taillent le drap, une aiguille apparaît qui se met à coudre avec une activité fébrile ; vous n’avez pas fait trois pas qu’elle lance à terre un pantalon ; puis, toute frémissante, elle attend une autre pièce d’étoffe. Prenez garde qu’elle ne saisisse le pan de votre redingote, car elle le découperait aussitôt avec son intelligence habituelle, et en fabriquerait bien vite un autre de ces vêtemens que les Anglaises ne nomment pas. Vous le voyez, avec cette malle et cette machine, un homme peut voyager loin sans avoir besoin de ses semblables. Ajoutez à ce bagage une de ces charrues à vapeur que l’Angleterre vient d’inventer, laquelle, moyennant un petit appareil qui fait mouvoir six socs à la fois, retourne un champ en un instant ; vous pourrez naviguer, dormir, vous vêtir et vous nourrir sans importuner personne. Malgré ces excentriques inventions, l’exposition des États-Unis n’est pas ce qu’on attendait. Elle exprime mal la puissance de ce grand pays. Les Anglais en font des gorges chaudes ; ils s’en réjouissent avec une ostentation sous laquelle ils dissimulent mal leur jalousie secrète et même leur crainte. De son côté, le Yankee se moque du Palais de Cristal, ou feint de s’en moquer. « Nous l’achèterons, dit-il, pour faire une aile de celui que nous avons idée de construire. » C’est le Gascon affirmant que le château de Versailles ressemblait aux écuries de son père.