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De toutes les terres en friche de la côte ; les plus avantageuses à mettre en culture sont sans contredit les plus voisines de Granville ; elles sont en contact avec le marché le mieux achalandé et, ce qui n’importe pas moins, avec le plus riche dépôt d’engrais du pays. Le flot qui remplit le port se compose de deux ondes : l’une, assez claire, arrive directement de l’ouest ; l’autre, surchargée de tangue, fait le tour de la baie du Mont-Saint-Michel, et le calme que produisent les nouvelles jetées, en arrière desquelles elle est reçue, la sollicite à y déposer son fardeau. Déjà l’on se demande avec quelque inquiétude combien il faudra de temps à ces envasemens pour combler le port et les parcs d’huîtres adjacens. Ce serait donc une opération doublement heureuse que celle qui fonderait sur la fécondation d’une vaste étendue de terres le dévasement journalier du port[1]. La ville proprement dite ne gagnerait pas moins à se purger par cette voie des immondices qui l’infectent. En Flandre, par exemple, la moindre parcelle d’engrais produite dans les villes est immédiatement enlevée par l’agriculture ; il sort annuellement de Dunkerque 40,000 tonneaux d’engrais composés avec la vase du port et des canaux, les immondices des rues et les vidanges des maisons ; la campagne est fertilisée par l’assainissement de la ville. Si, mettant chaque chose à sa place, les habitans de Granville portaient sur leurs mielles ce qui est de trop dans leurs rues, leur commerce de denrées avec l’Angleterre en serait peut-être doublé ; mais, on ne saurait assez le redire, de semblables miracles ne s’opèrent dans les watteringues du département du Nord que depuis que la perfection des communications y a réduit aux plus bas prix le transport des engrais et des récoltes. Granville n’a ni les canaux, ni les chemins qui rayonnent autour de Dunkerque ; les mielles touchent presque à son port, mais on n’aplanit pas le peu d’obstacles qui les en sépare : qu’elles y soient rattachées par des chemins non-seulement praticables, mais excellens, et la culture s’y propagera d’elle-même. L’étendue à conquérir vaut la peine qu’on s’en occupe : les mielles des cantons de Granville, de Bréhal et de Sartilly forment aux portes de la ville deux groupes, l’un de 1,108 hectares au nord, l’autre de 776 au sud. Les Hollandais et les Flamands ont, dans des circonstances moins favorables, fait mieux que de tracer des chemins : ils ont ouvert des canaux, et s’en sont bien trouvés.

La petite culture est celle qui convient le mieux au sol des mielles, et, si elle se les appropriait, un douloureux problème serait résolu. Vouée par la nature de ses travaux à des intermittences d’oisiveté, la

  1. Les Jersyais, dont l’île est, comme notre côte, granitique et schisteuse, ont plus d’une fois demandé l’autorisation de charger des navires de tangue à Granville. Il aurait fallu s’empresser de la leur accorder pour faire comprendre à nos compatriotes l’avantage de cette opération et les en rendre jaloux.