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il provenait de l’influence de l’école philosophique de l’époque. Quoi qu’il en soit, il se sait en accord avec les penseurs de son siècle et de son pays, et nomme Condillac, Locke et Bacon comme les chefs dont il révère la mémoire et suit fidèlement les traces. À la vérité, lorsqu’il se heurte contre les théories de Hobbes et d’Helvétius, il recule devant cette négation si expressément formulée de tout ordre moral, et fait entendre quelques réclamations en faveur de la liberté humaine. Il n’en demeure pas moins constant que le sensualisme fut la première doctrine à laquelle Maine de Biran donna son adhésion lorsqu’il aborda pour la première fois l’étude de l’homme sous la forme scientifique. Cette adhésion est explicite et complète. Si l’on voit la théorie fléchir dans ses conséquences extrêmes devant les exigences du sens moral, c’est qu’il n’est donné qu’à un petit nombre de philosophes d’éviter les inconséquences, et que, malgré ce qu’il pouvait y avoir de personnel à M. de Biran dans sa première conception du bonheur, le système sensualiste, en tant que système formulé et exclusif, ne fut au fond pour lui qu’un vêtement d’emprunt. Sa pensée, dans son développement naturel, devait bientôt faire éclater sur plus d’un point cette enveloppe artificielle et la rejeter enfin entièrement.

Toutefois cette transformation ne devait pas s’accomplir immédiatement. Des jours plus calmes commençaient à luire pour la France, et quelques-uns des hommes que le régime de 1793 avait exclus de toute participation aux affaires du pays commençaient à reparaître sur la scène politique. En mai 1795, Maine de Biran fut appelé aux fonctions d’administrateur du département de la Dordogne ; il se concilia, dans l’exercice de ses fonctions, la confiance de ses administrés, car en avril 1797 il fut envoyé au conseil des Cinq-Cents. Il appartenait à cette classe nombreuse de députés que leur dévouement à la cause du roi ou une haine profonde pour les excès de la révolution avait désignés au choix des électeurs dans le grand mouvement réactionnaire de cette époque. Son élection se trouva donc annulée à la suite du coup d’état du 18 fructidor. Les commotions politiques le laissaient une seconde fois sans position officielle ; mais les circonstances étaient très différentes de celles dans lesquelles il se trouvait en 1789. Un mariage selon son cœur l’avait uni depuis quelque temps à une femme qui faisait le charme de sa vie. Le bonheur domestique était mieux d’accord avec ses facultés aimantes et les qualités de son esprit que les émotions de la politique et les délibérations tumultueuses d’une assemblée parlementaire. Ce fut donc avec joie qu’après être resté quelques mois à Paris pour y profiter des cours publics, il retourna dans ses foyers. Le garde-du-corps licencié était rentré tristement dans une demeure presque déserte ; le député destitué ramenait avec lui une compagne aimée qui devait embellir sa