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plus intenses. En décembre 1818, une crise ministérielle éclate ; Maine de Biran trace les lignes suivantes : « J’ai passé tout mon temps au ministère de l’intérieur, occupé de causeries sur le sujet du jour. Que me font tous les changemens de ministres et toutes les tracasseries des hommes avides de pouvoir, tous ces mouvemens orgueilleux et insensés de petits hommes qui croient chacun commander au destin, dont ils sont les instrumens ? Pourquoi ne me tiens-je pas tranquille, borné au rôle d’observateur qui me convient uniquement, triste témoin des déchiremens et de la dissolution de notre patrie, que je ne puis servir autrement que par des vœux impuissans, le ciel m’ayant refusé l’énergie de corps et d’ame nécessaire pour influer sur les hommes et sur le temps et le lieu où l’on vit ? Cette vérité de sens intime devrait me rendre tranquille, et pourtant je m’émeus, je m’agite avec tout le monde, oubliant la véritable place qui me convient et mon rôle passif d’observateur, aspirant quelquefois à influer sur les autres ! Fatigué de ces efforts inutiles, je perds toute contenance, tout aplomb, et je suis averti par la conscience intérieure de la platitude de mon rôle, chose dont les autres hommes ne s’aperçoivent pas. Quousque [1] ? »

Le rôle d’observateur était véritablement celui qui lui convenait, et c’est l’appréciation des événemens publics et non le récit de circonstances particulières et peu connues qui fait l’intérêt de la partie politique du Journal intime. Maine de Biran était royaliste, ce fait est suffisamment établi ; ce qui reste à constater, c’est dans quel sens et par quels motifs il consacra sa carrière politique tout entière à la défense des droits et des prérogatives de la couronne. Le repos, l’ordre, — telle est en matière politique son invariable devise. L’observateur le plus superficiel saisira la relation de cette tendance de son esprit avec sa constitution physique et morale. Impressionnable comme il l’était, ressentant dans le trouble de ses sentimens, et même dans le désordre de son organisation, le contre-coup douloureux des commotions extérieures, il ne pouvait contempler qu’avec effroi le spectacle des tempêtes politiques. Les vues de M. de Biran, dans la sphère des questions sociales, se rattachent donc par un lien assez étroit à sa nature personnelle. On ne saurait toutefois, sans faire injure à sa mémoire, rapporter à cette source unique les mobiles qui lui inspirèrent la ligne de conduite qu’il adopta ; une politique qu’on pourrait nommer politique d’instinct trouva une base plus ferme dans ses opinions réfléchies. Il n’est pas impossible de découvrir le lien qui unit sa politique à sa philosophie : ce lien se trouve dans la valeur attribuée à la personne humaine. À ses yeux, la seule fin légitime de l’état était de placer chacun des membres de la société dans

  1. Journal intime, jour de Noël, 1818.