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qui ne pouvait sortir que d’un grand cœur : il résolut d’aller en Italie s’expliquer devant la régente, en face du sénat, en présence de tout l’empire, et de s’offrir en expiation aux justes malédictions de sa patrie. Il s’embarqua donc, laissant son armée sous le commandement de son lieutenant Trigétius. Cinq ans s’étaient écoulés depuis qu’il avait quitté cette même terre d’Italie, glorieux et honoré ; il y revenait coupable et malheureux, mais le front encore levé, comme une victime résignée. La dignité morale empreinte dans sa démarche fit tomber aussitôt les ressentimens. Les populations accourues de loin pour le voir se pressaient sur son passage dans l’attitude non de la colère, mais d’une pitié respectueuse. Quand il approcha de Rome, la ville entière se leva pour le recevoir. « Il y eut là, dit un contemporain, un admirable concert de sympathie. » A Ravenne, ce fut la même chose, et, dans ce triomphe du repentir, il ne se trouva personne que lui qui osât rappeler le passé. Sa présence déliait nécessairement le nœud des affaires d’Italie. La régente, dénonçant hautement la perfidie d’Aëtius, le cassa de sa charge de généralissime, dont elle investit Bonifacius, lequel fut en même temps nommé patrice. C’était le signal de la guerre civile.

Cependant Aëtius, endormi dans une fausse sécurité par les protestations de la régente, se réveilla comme d’un songe. Il apprit coup sur coup le débarquement et la marche triomphale de son ennemi à travers l’Italie et le rescrit qui le frappait lui-même. À cette dernière nouvelle, il se crut perdu ; il ne put s’imaginer qu’on osât l’attaquer à demi et que Bonifacius n’eût pas des assassins tout prêts pour se défaire de lui. Plein de cette idée, il quitta son camp précipitamment et se réfugia dans un lieu fortifié, sur une montagne, disent les chroniqueurs ; puis, quand il reconnut qu’il s’était trompé, et que son armée fidèle le réclamait, il revint, lui souffla le feu de son ressentiment, et l’entraîna à sa suite vers l’Italie. Bonifacius l’attendait de l’autre côté des Alpes avec les légions italiennes, non moins pleines de résolution. Ce fut, selon toute apparence, au débouché des monts, dans les vastes plaines de la Ligurie, que se rencontrèrent les deux derniers généraux de Rome expirante et ses deux plus belles armées. Nous ne savons rien de l’ordonnance et des mouvemens du combat, sinon que de part et d’autre le courage était égal dans les soldats et le génie dans les chefs. L’armée gauloise, après des prodiges de valeur, fut enfoncée de toutes parts et mise en déroute. Bien décidé à jouer le tout pour le tout et à laisser sur le champ de bataille sa vie ou celle de son rival, Aëtius avait fait fabriquer la veille une arme qu’il maniait avec beaucoup d’adresse : c’était une pique plus longue que les hastes romaines et modelée, à ce qu’on peut supposer, sur les lances de ses cavaliers nomades. Lorsqu’il vit ses troupes débandées et l’inutilité de tout effort