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et Pontorson : la ligne brisée qu’elle décrit a 55 kilomètres de longueur, quoique la distance directe entre les deux extrémités ne soit que de 23. Elle présente jusqu’à Avranches une succession de rampes qui porte les frais de transport entre les deux villes à près du double de ce qu’ils seraient par un tracé horizontal établi le long de la mer. Toutes les routes qui rayonnent autour de Granville sont affectées de vices analogues, et le mouvement maritime se ressent de la cherté de la circulation territoriale à laquelle il correspond.

Placée sur la croupe élevée du soulèvement granitique qui sépare le bassin de la Sée de celui de la Sélune, la ville d’Avranches était place forte avant la réunion de la Bretagne à la France. Elle a dû, sous louis XIV, une sorte de lustre académique à son évêque, le savant Huet. Cette Athènes de la Basse-Normandie, comme elle s’est depuis lors appelée, entretenait autour du siége métropolitain six dignités, vingt chanoines, vingt-huit chapelains, six vicaires, un chantre, vingt-quatre choristes, et l’élection dont elle était le chef-lieu envoyait aux armées du roi plus d’officiers qu’aucune autre d’une égale étendue[1]. Quand Dieu et le roi étaient servis, cette société de gens de loisir n’avait rien de mieux à faire que de cultiver le savoir-vivre et le gai savoir. Les goûts belliqueux, les guerres de la république et de l’empire en font foi, se sont transmis des pères aux enfans ; les autres, à ce qu’on assure, ne se sont pas non plus perdus, et l’on cite comme un type du caractère avranchin cet aimable vieillard que Paris a connu architecte de la chambre des pairs, et qui avait vendu ses fermes et ses herbages pour doter sa ville natale d’une salle de spectacle. Aussi Avranches est-il noté comme un pays à part dans une province où la passion dominante n’a jamais été celle de se ruiner pour le divertissement d’autrui. C’est tout au moins une retraite pleine de fraîcheur et de sérénité : beaucoup de familles anglaises viennent y chercher un comfort que les fortunes modestes ne procurent guère de l’autre côté du détroit. Le simple voyageur lui-même ne se détache pas sans regret des perspectives magnifiques ou gracieuses qui se déroulent à l’horizon d’Avranches, de celle surtout du Mont-Saint-Michel, soit qu’une immense nappe de sable le sépare de la verdure foncée qui tapisse la côte, soit que sa grande ombre se projette sur les flots scintillans de la mer montante.

On descend à Pontorson au travers d’une succession de riches vergers, de grasses prairies. Ce lieu n’a plus rien de la place de guerre dont Du Guesclin était gouverneur depuis dix-sept ans quand Charles V lui en fit don en récompense de ses services. Les fortifications n’en étaient bonnes au XVIIe siècle qu’à exciter la convoitise des protestans fort remuans de la province, et le cardinal de Richelieu les fit prudemment raser. Pontorson, renommé pour la fertilité de son territoire

  1. Mémoire sur la généralité de Caen. 1698. Mss.