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champions qui lui seront demeurés une empreinte ineffaçable ; elle sera devenue leur œuvre et leur bien. On n’a point pardonné à la république d’avoir été la conquête d’une minorité violente ; on ne pardonnera guère davantage à la constitution, si c’est encore une minorité qui s’en empare et l’arbore comme un trophée personnel. La constitution ne gagnera rien à se trouver placée sous des auspices trop exclusifs, et, pour tout dire, elle n’aura jamais été plus malade qu’après avoir été sauvée en un si petit comité. On ne sera jamais plus près de la révision et d’une révision complète que lorsque la révision aura été dûment repoussée par une minorité bien notoire.

Or, il n’y a qu’une bonne raison d’appartenir à cette minorité réfractaire et surtout de s’en déclarer : ce n’est pas l’envie de faire pièce au ministère en refusant la révision parce qu’il la désire ; le beau triomphe de contrarier aujourd’hui des ministres ou même d’en culbuter ! Ce n’est pas non plus le parti pris d’enfermer tout le monde avec soi dans une impasse d’où l’on ne veuille laisser sortir personne pour que personne n’ait le pas sur vous ; ces choses-là ne se proclament point aisément à la tribune. Le véritable argument des adversaires de la révision, celui sur lequel on ne les battra point, parce qu’évidemment c’est la foi pure qui l’inspire et qu’on ne dispute point contre la foi, ce sera de soutenir haut et ferme que la république existe et préexiste en vertu d’un droit antérieur et supérieur, que la constitution de 1848 est la meilleure garantie d’ordre et de liberté dont la France ait encore joui, que la France est enfin à jamais circonscrite dans l’exercice de sa souveraineté par la fidélité toute spéciale qu’elle doit à ses vainqueurs de février. La discussion aura nécessairement pour effet de mettre en pleine lumière cet argument péremptoire, et de tuer toutes les chicanes à l’ombre desquelles beaucoup de gens qui ne sont pas de cet avis-là vont cependant se ranger autour de ceux qui le professent.

Une émeute se compose, comme on sait, d’élémens très divers ; ceux qui la font tout de bon, parce que c’est leur humeur et pour le plaisir de la faire, sont toujours le moindre nombre ; puis viennent les mécontens qui n’ont que de minces motifs et ne demanderaient qu’un peu de bruit, puis les pédagogues qui veulent donner une leçon au gouvernement ou du moins assister à celle qu’on lui donnera, puis les fatalistes qui regardent pour observer comment cela tournera, puis les curieux qui regardent pour regarder. Sauf le respect que nous devons à la majesté des représentans du peuple et sans insister sur une comparaison qui serait désobligeante, nous nous rappelons malgré nous la façon dont s’opère ce recrutement habituel de l’émeute, lorsque nous voyons des membres de la majorité se grouper, sous un prétexte ou sous l’autre, parmi les adversaires naturels de la révision. Ils ne sont certainement pas embarrassés d’expliquer leur conduite ; ils ont contre la révision ce grief-ci ou ce grief-là : elle agitera le pays, elle ébranlera le culte de la légalité. Le pays n’est-il pas en effet bien tranquille depuis trois ans ? La loi n’est-elle pas sur des autels sacrés ? Voilà donc des scrupules qui ne se laisseront pas blesser impunément et ne se priveront pas de réclamer ; il y manque pourtant le grand motif à côté duquel les autres ne sont que médiocres et n’excusent plus aucun entêtement, il y manque d’aimer la république et la constitution pour elles-mêmes. Il ne se peut point que ce motif essentiel n’apparaisse au débat par-dessus tous les petits, ne les domine, ne les efface, et n’oblige ceux qui se seraient contentés