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alors dans toutes les mains. Cette page du poète-historien aura frappé le peintre qui l’a traduite avec le pinceau, mettant à son œuvre ce cachet de sévérité et de distinction qui lui est propre. Voulant représenter la noble et touchante figure de cette reine, hier si séduisante et si superbe, frappée aujourd’hui, comme la Niobé antique, dans son orgueil et ses plus chères affections, le peintre a choisi le moment qui suit la condamnation, et où la reine se retire du prétoire. En cela, il a montré cette délicatesse de goût, ce tact sûr qui le distinguent. Pouvait-il en effet placer cette femme, — qui peut répondre à l’appel de son nom : Marie-Antoinette de Lorraine et d’Autriche, veuve du roi de France, — face à face avec un Fouquier-Tinville ou un Hébert, ou en présence de leurs infimes et sanguinaires comparses du tribunal révolutionnaire les Hermann, les Sellier, les Coffinhal, les Foucault, les Masson et autres instrumens des vengeances populaires jetés par le peuple lui-même aux gémonies de l’histoire ? Un esprit vulgaire eût succombé à la tentation de faire briller une dernière fois d’une royale majesté l’œil de la reine répondant à ses misérables juges. M. Delaroche, qui possède à un si haut degré la science de l’intérêt, a compris qu’il y avait un moment qui résumait en quelque sorte toutes les émotions, toutes les douleurs : c’est le moment qui suit le jugement. M. Paul Delaroche l’a choisi sans hésiter. La plus grande iniquité de ces jours néfastes de la terreur est consommée ; l’arrêt vient d’être prononcé. La révolution qui tenait dans ses mains cette princesse, fille, femme et mère de rois, n’a pas su se montrer magnanime. Les vengeances d’en bas l’ont emporté. La reine vient d’être condamnée. On la reconduit du tribunal à la prison, d’où elle ne doit sortir que pour monter sur l’échafaud.

La mise en scène est des plus naturelles et des plus simples. Au fond, les juges iniques, éclairés par la lueur douteuse d’une lampe et revêtus de leurs insignes révolutionnaires, sont debout. Ils triomphent, ils ont vaincu, et leur front est sombre, leurs regards sont troublés. Sur le premier plan, le dos tourné au tribunal et faisant face au spectateur, la reine s’avance escortée par des gendarmes et des gardes nationaux que commande un officier, choisi, comme on peut s’en convaincre à sa physionomie, parmi les plus ardens suppôts du parti jacobin. Les autres gardes sont impassibles ; gendarmes ou limiers de police, ce sont de ces instrumens qui appartiennent nécessairement au plus fort, et qui, en temps de révolution, escortent tour à tour vainqueurs et vaincus, que tour à tour les mêmes lois condamnent et que le même couteau décapite. La séance du tribunal révolutionnaire a été longue ; elle a rempli toute une nuit. Le pâle et froid rayon d’une matinée d’octobre s’échappant d’une fenêtre que le peintre suppose faire face à la reine, et place entre elle et le spectateur, jette une lueur blafarde sur le visage, les épaules, les bras et tout le buste de Marie-Antoinette. Celle-ci, en se retirant, longe une tribune basse, placée à sa gauche, et que remplit le peuple et la vile populace. Là sont réunis tous les sexes, tous les âges, toutes les passions, depuis l’affreux maratiste, qui menace du poing la victime découronnée, depuis la mégère édentée qui lui jette l’injure en passant, jusqu’à la jeune femme qui partageait peut-être tout à l’heure ces haines populaires, mais dont la physionomie s’apaise, s’attendrit, et dont l’œil humide va laisser couler une larme, jusqu’au gamin de l’époque dont la tête brune apparaît au milieu des bonnets rouges, et dont la prunelle espiègle