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Dans la dernière œuvre de M. Paul Delaroche, le retour à sa première manière est peut-être plus sensible encore pour ce qui touche à l’exécution que dans la composition même. Certaines tendances archaïques ont absolument disparu : la ligne est redevenue plus souple et plus ondoyante, le pinceau plus facile et plus moelleux ; la touche a perdu de sa sécheresse et de sa rigueur ; le coloris s’est rompu et a repris quelque chose de flamand : enfin l’habile entente du clair-obscur et l’harmonie de l’ensemble rappellent le peintre de Jeanne d’Arc, de Clara Macdonald et de Cromwell, si différent du peintre de l’hémicycle et de quelques ingénieuses réminiscences de l’école italienne. Nous devons faire la juste part de la critique et ajouter que peut-être l’artiste a beaucoup sacrifié pour atteindre à cette extrême harmonie et a fait trop de concessions à l’effet. C’est ainsi que tout le devant du tableau, à partir de la bordure jusqu’au tiers de sa hauteur, est plongé dans une ombre un peu égale et par trop compacte. Cela donne une apparence de négligence à l’exécution des pieds et du bas de la robe de la reine, et on a peine à distinguer la forme et le ton local de chaque objet, des boiseries de la tribune où le peuple se presse, de la banquette placée derrière la reine, qui sont uniformément teintés de noir et de roux. Ces tons bruns sont également prodigués dans tous les plans éloignés du tableau, particulièrement vers la gauche, dans le haut de la tribune où se pressent de hideux personnages aux formes confuses, dignes habitués de ce pandoemonium populaire, où nous voudrions retrouver ces ténèbres visibles de Milton. La partie droite du tableau, où l’on aperçoit à l’arrière-plan les jurés coiffés du bonnet rouge, trois des neuf juges qui condamnèrent la reine[1], et parmi eux Hermann, leur président, debout et la tête couverte d’un feutre empanaché, comme un ridicule et odieux comédien de mélodrame ; est éclairée par la lumière d’une lampe. L’effet est vrai et touche à la réalité ; mais peut-être la transition de ces arrière-plans et des plans secondaires, plongés dans une demi-obscurité, avec la pleine et vive lumière du jour répandue sur la figure et le buste du personnage principal, est-elle un peu brusque : il en résulte que les blancs du mantelet et des manchettes paraissent crus. Un léger glacis d’ocre eût pu rétablir une parfaite harmonie, mais le peintre a préféré sans doute se confier à l’action du temps, qui seul peut répandre sur son œuvre, dans une irréprochable proportion, ces teintes dorées, cette patine magique, que l’on simule vainement, et qui donne un si grand charme aux peintures flamandes et vénitiennes.

On pourrait encore signaler d’autres défauts dans la dernière production de M. Paul Delaroche. Ainsi, par exemple, cet embonpoint, ou plutôt cette bouffissure que l’inaction de la prison a donnée à la reine, paraît un peu exagéré. Il y a, ce semble, une trop grande différence entre la svelte et vive princesse de Trianon et de Versailles et la femme présente devant nous. Cet embonpoint épaissit singulièrement le cou et fait paraître le menton et toute la partie inférieure du visage un peu lourds, ce qui tend à exagérer le caractère de nationalité autrichienne qui appartenait à la princesse. Cet embonpoint nous a valu en revanche des bras d’une rondeur charmante et d’un admirable modelé,

  1. Hermann, président, Foucault, Sellier, Coffinhal, Deliége, Ragmey, Maire, Denisot et Masson.