Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ma chère amie, mandez à cette pauvre misérable qui est à Stenai l’état où vous me voyez, afin qu’elle apprenne à mourir[1]. » Frappée de ces deux grands coups, elle se réfugie en esprit auprès de ses bonnes Carmélites, et elle épanche sa douleur dans leur sein. La lettre sur la mort de sa mère est particulièrement touchante. Affliction profonde, accablement douloureux, remords secrets mêlés à un chagrin cuisant, exquise délicatesse exempte de toute subtilité, avec un style d’une élévation et d’une distinction naturelle, ou je m’abuse fort, où l’on trouve tout cela dans cette lettre digne d’être ici reproduite. Elle est adressée à la mère prieure du grand couvent des Carmélites de paris, qui, dans le monde, s’appelait Mlle de Saugeon, et qui, pour se soustraire à la passion de Gaston, duc d’Orléans, s’était mise en religion aux Carmélites. Elle en sortit plus tard, reparut à la cour du duc d’Orléans, et y vécut ; de telle sorte que sa réputation n’en souffrit point[2].

« Je reçus hier (14 décembre 1650) tout à la fois trois de vos lettres, dont la dernière m’apprend notre commune perte. Vous jugez bien en quel état elle me doit mettre, et c’est mon silence plutôt que mes paroles qui doit faire connoître ma douleur. J’en suis accablée, ma très chère mère, et c’est ce coup-là qui ne trouve plus de force dans mon ame. Il y a des circonstances si cruelles, que je n’y puis songer sans mourir, et je ne puis néanmoins penser à autre chose. Cette pauvre princesse est morte au milieu de l’adversité de sa maison, abandonnée de tous ses enfants, et accompagnée seulement des tourments et des peines qui ont terminé sa malheureuse vie ; car enfin ce sont les maux de l’esprit qui ont causé ceux du corps, et je tiens par là cette mort plus dure que si elle avoit été causée par les gênes et par les supplices corporels. Elle m’en laissera d’éternels dans l’esprit, et elle me laisse au point de sentir tous les autres malheurs avec plus d’aigreur que je n’eusse fait sans cela, et de n’être plus capable de sentir le bonheur, quand même il m’en viendroit quelqu’un, puisque ma pauvre mère ne l’aura pas goûté avant que de sentir l’amertume de son heure dernière. Je ne sçais aucune des particularités qui l’ont accompagnée, et je m’adresse à vous pour vous conjurer de me les vouloir apprendre bien exactement. C’est en m’affligeant que je me dois soulager. Ce récit fera ce triste effet, et c’est pourquoi je vous le demande, car enfin vous voyez bien que ce ne doit point être le repos qui doit succéder à une douleur comme la mienne, mais un tourment secret et éternel, auquel aussi je me prépare, et à le porter en la vue de Dieu et de ceux de mes crimes qui ont appesanti sa main sur moi. Il aura peut-être agréable l’humiliation de mon cœur et l’enchaînement de mes

  1. Villefore, p. 221.
  2. Voyez les Mémoires de Mademoiselle, t. Ier, p. 106, 120, 182, 183, 184, etc., et surtout Mme de Motteville, t. II, p. 169, t. III, p. 340, et t. IV, p. 57.