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excités par l’espoir d’une rançon ? Le moine ne savait ; hélas ! c’était toujours certainement une punition de Dieu. Les brigands avaient pénétré sans bruit, et soit qu’ils redoutassent les nombreux domestiques de Démétrius, soit que cette proie satisfit leur cupidité, ils s’abstinrent d’autres violences. Lui, le moine, en se rendant, selon l’usage, à la prière, vit de sa terrasse fuir les ravisseurs ; ses cris, un coup de feu qu’il tira sur la barque, donnèrent l’alarme ; des chaloupes, des gens à cheval coururent le long de la côte sans pouvoir joindre les forbans. On sut que leur bâtiment se dirigeait vers les Cyclades ; mais comment les y poursuivre ? Démétrius porta plainte au pacha, qui réclama le secours du gouverneur de Smyrne. Alors le raya, que son commerce dans les échelles du Levant avait mis autrefois en rapports avec, la station française, envoya un messager à l’amiral, sur lequel toutes les bénédictions de la très sainte Trinité étaient appelées pour la commisération et la protection qu’il accordait aux malheureux.

Le moine se tut. Le vieillard avait écouté ce récit dans l’hébétement de la douleur ; il se roula sur le parquet, déchirant ses babils et n’articulant que le mot Vasiliky. Ce nom, répété plusieurs fois, finit par me réveiller tout-à-fait. Le commandant vint en ce moment me secouer d’un air moqueur, et le moine, avec un sourire compatissant, me tendit une coupe de vin de Chypre. — Ceci réconfortera, dit-il, le pauvre enfant fatigué. Après avoir bu, je me sentis un autre homme ; mais ce que je venais d’entendre et de voir, était-ce ou non un rêve ? Je l’ignorais encore ; aussi écoutai-je attentivement la conversation du commandant et du consul, qui, après avoir interrogé Dimitri, se communiquèrent leurs impressions.

— Et on ne sait rien de plus ? demanda le commandant. Il n’y a aucun indice de la direction prise par les forbans ?

— On parle de Paros, de Santorin, répondit le consul ; qui peut compter les criques à leur convenance ?

— J’ai l’ordre de l’amiral de fouiller les Cyclades. Je vais y aller ; mais où dénicher un bateau gros comme une coque de noix ?

— Ce n’est pas aisé, à moins que quelque compère ne les trahisse. Depuis la prise de Constantinople par les Turcs, l’Archipel est la proie des forbans de toute espèce. C’étaient bien d’autres fêtes encore du temps des hospitaliers de Rhodes, aux premiers jours de leur établissement à Malte, à l’époque de la puissance de Venise, lorsque les galères de la religion et celles de Saint-Marc faisaient la course en Orient, tandis que les musulmans d’Asie et d’Afrique descendaient sur les côtes dalmates, en Italie, en Espagne et dans notre Provence. Les harems n’étaient peuplés que de femmes chrétiennes qui prenaient leur mal en patience ; par contre-coup, les filles de Mahomet s’en allaient à leur tour et sans trop de répugnance habiter les palais du Lido et les maisons fortes des chevaliers ; c’était un échange, et à ce sujet les romans