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qu’elle est la fille de Hagelhans, et que le riche domaine leur appartiendra un jour. Elle craint pour lui l’influence mauvaise d’une richesse que le travail n’aurait pas encore justifiée. « Le temps s’approche pourtant, — c’est ainsi que finit cette sévère et charmante histoire, — le temps s’approche où Hagelhans dira ce qu’il est, où UIi, de simple fermier, deviendra un riche paysan. Bréneli voit arriver ce jour avec inquiétude ; elle tremble à l’idée de cette nouvelle épreuve. Seront-ils assez forts tous les deux pour la traverser heureusement ? Voilà ce que bien souvent chaque jour elle demande à sa conscience. Pour nous, nous croyons qu’ils le peuvent. Dieu qui les a secourus à travers tant de peines et leur a fait gravir tant de roches escarpées, Dieu maintiendra leurs pieds dans la droite route, maintenant qu’ils n’ont plus qu’à marcher dans la plaine au milieu d’une magnifique nature. »

Ces deux romans, Uli le valet de ferme et Uli le fermier, pourraient suffire à une popularité durable ; M. Jérémie Gotthelf toutefois n’est pas homme à se reposer sur le succès : il sait que le mal se multiplie sous mille formes, et que la vie est un combat. Ces missionnaires d’une nouvelle espèce qu’il envoie de village en village prêcher la concorde et le travail, la charité et la confiance en Dieu, il veut sans cesse en augmenter le nombre. Ce n’est pas assez d’Anneli et de Jérémie, de Christen et d’Ameli, de Jacob et du maître d’école ; ce n’est pas assez même d’Uli et de Bréneli : il est toujours prêt à fortifier sa phalange. Si bien écoutés qu’ils soient du peuple des campagnes, Uli et Bréneli ne peuvent pas tout lui dire ; il est urgent de diviser le travail ; il faut qu’à toutes les passions funestes, à tous les mauvais instincts exploités par la démagogie et la débauche, un frère d’Uli, une sœur de Bréneli viennent opposer l’image d’une sagesse qui n’est jamais chagrine, d’une morale qui ne tourne jamais au pédantisme. Et puis l’auteur y prend plaisir lui-même : quoique la plus grande part de son originalité réside peut-être dans la ferveur de son prosélytisme chrétien, sa verve d’artiste, on le sent, est heureuse de se donner carrière. Il aime à reproduire dans sa franche liberté tout ce monde qui l’entoure ; satirique ou affectueux, il ne se lasse pas de reproduire le mouvement de la vie populaire, et il y va, comme on dit, bon jeu bon argent, avec un entrain et une cordialité qui réjouissent l’ame. L’histoire de Jean Joggeli, par l’élévation des sentimens, par la grace et la vigueur des détails, ne se place pas très loin d’Uli le valet de ferme, et donnerait lieu aux mêmes remarques. Il y a quelque chose de nouveau dans les Récits et Tableaux de la vie populaire en Suisse : c’est une série d’esquisses charmantes, ébauches, croquis, silhouettes rapidement enlevés, où se retrouve toujours le pinceau du maître. Jérémie Gotthelf, on le voit par cette vivante galerie de portraits, est bien le véritable historien des paysans. Un critique allemand, quoique très hostile à l’inspiration chrétienne de l’auteur, s’extasiait l’autre jour sur la