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pour Pierre Lescot, puisqu’ils sont contemporains. Quant à Nicolas Poussin, il y a une telle différence entre le style de ses compositions et le style de Jean Goujon, qu’il m’est impossible d’accepter pour le peintre des Sacrenaens le style élégant et voluptueux de l’auteur de la Diane. Il fallait, je ne dis pas traiter chaque personnage en copiant servilement son style, mais le traiter du moins selon le caractère de ses œuvres. À Jean Goujon l’élégance et la mollesse, à Nicolas Poussin la grandeur et la sévérité, à Pesne le labeur et le dévouement, à Pierre Lescot la combinaison ingénieuse des formes trouvées par l’antiquité et rajeunies par la renaissance. Dira-t-on que ces quatre pensées ne peuvent se prêter aux conditions de la sculpture ? Ce serait à mon avis une objection puérile, car les travaux de ces quatre maîtres offrent tous les élémens nécessaires pour exprimer la pensée que je recommande. L’unité de style pour ces quatre personnages, très acceptable sans doute, si le style appartenait à l’auteur, donne lieu aux plus sérieux reproches, lorsqu’elle est empruntée à l’un des quatre personnages ; Jean Goujon et Nicolas Poussin ne pourront jamais s’accorder.

Les grandes figures qui personnifient, sous une forme allégorique, les arts du dessin sont traitées avec tout le soin, toute la précision que nous pouvions attendre du talent de M. Simart. Chacun rendra pleine justice à la gravité des visages, à l’élégance des draperies. Il est facile de reconnaître au premier aspect que M. Duban, en s’adressant à M. Simart, a fait un choix judicieux. Malheureusement, la tâche qu’il a confiée au statuaire, fidèlement exécutée, est loin de contenter le regard. Ces figures colossales semblent menacer les visiteurs, car elles ne reposent sur rien. L’architecte, par une singulière inadvertance, a négligé d’établir à la partie supérieure des parois du salon, à la naissance de la voûte, une corniche saillante, visible à tous les yeux, capable de rassurer ceux qui ne savent pas comment ces figures sont construites. Le spectateur, en effet, ne peut deviner qu’elles sont modelées sur place, avec du plâtre à la main, c’est-à-dire tellement minces, tellement légères, que l’armature qui les soutient n’a presque rien à porter. Il se demande naturellement si elles ne vont pas se détacher de la voûte et voler en éclats. J’ajoute que ces figures ne s’accordent pas par leurs proportions avec les médaillons qui les surmontent ; ce défaut d’harmonie ne saurait être imputé au statuaire, qui a suivi religieusement les indications de l’architecte. C’est à M. Duban seul qu’il faut encore s’en prendre, c’est lui seul qui doit en porter la responsabilité. Quant à la composition, qui appartient tout entière au statuaire, elle n’est pas à l’abri de tout reproche. Je me demande pourquoi M. Simart, en personnifiant les arts du dessin, s’est cru obligé de leur prêter l’attitude des sibylles qui décorent la chapelle Sixtine. Prises en elles-mêmes, abstraction faite de leur destination, de la pensée qu’elles doivent exprimer, ces figures méritent les plus grands éloges ; mais je ne comprends pas que l’auteur ait pu se méprendre au point de les transformer en sibylles. Le visage sur la main, le coude sur le genou, leur physionomie n’a pas le calme qu’elle devrait avoir ; leur méditation tient à la fois de la douleur et de la menace. Au lieu de personnifier les différentes formes de la beauté, elles semblent sonder l’avenir ; on dirait que leur bouche va s’ouvrir pour prononcer quelque terrible prophétie. Ainsi, malgré mon estime très sincère pour le talent de M. Simart, je n’hésite pas à condamner la manière