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de justifier mon opinion par une analyse patiente. Je n’ai rien avancé sans preuves, et chacun peut juger mon jugement.

Les travaux de la cour sont tellement ridicules, qu’il est inutile d’en parler. Ces triangles de gazon entourés d’une guipure de fer qui ne verront jamais une fleur s’épanouir donnent au Louvre l’apparence d’un cimetière, et la fontaine qui doit remplacer la statue du duc d’Orléans ne fécondera pas leur stérilité. Si M. Duban eût pris conseil d’un jardinier, il n’aurait jamais imaginé cette burlesque décoration, dont le bon sens public a déjà fait justice. Il nous reste à souhaiter qu’elle disparaisse bientôt.

Je reviens au Musée. Le salon carré et la salle des sept cheminées ont dévoré des sommes énormes, et cette dépense est d’autant plus regrettable, que les travaux offerts à notre admiration rétive ont été précédés de nombreux tâtonnemens. Encore si ces tâtonnemens n’avaient coûté qu’une rame de papier, nous pourrions nous résigner à l’indulgence. Si l’architecte, suivant l’exemple des médecins qui éprouvent une substance nouvelle sur une vile créature avant de l’appliquer au traitement des maladies humaines, eût confié ses doutes au vérin, qui souffre tout et ne ruine personne, nous pourrions compatir à son échec ; mais, pour nous servir d’une expression vulgaire, il a taillé en plein drap. C’est sur les murailles mêmes du Louvre qu’il a essayé son savoir. Les travaux que nous avons sous les yeux représentent tout au plus le tiers de la dépense, car ils ont été recommencés plusieurs fois, et, lors même qu’ils seraient nés d’une inspiration soudaine, ils ne mériteraient pas l’indulgence des connaisseurs.

Avec la moitié de la somme dépensée, le Musée pouvait s’enrichir, se compléter ; il pouvait acquérir en Italie, en Espagne, en Hollande, en Allemagne, des échantillons précieux des maîtres qui lui manquent, ou ne sont pas représentés d’une façon digne de leur nom. Des Murillo, des Velasquez, des Ribeira, des Van Hemling, des Albert Durer, les maîtres primitifs de l’Italie, voilà ce qu’il fallait chercher, ce qu’il fallait trouver pour compléter le musée de Paris. L’argent prodigué pour de telles acquisitions n’eût soulevé aucun murmure, n’eût excité aucune raillerie. Les travaux de M. Duban ne sont pour les yeux les moins sévères qu’une fastueuse inutilité. Le mal est accompli, force nous est de l’accepter. Espérons toutefois que l’improbation publique dessillera les yeux des hommes à qui est confiée la tâche délicate d’entretenir et d’embellir les monumens dont la France se glorifie, et qu’ils choisiront désormais un artiste plus savant et plus sensé que M. Duban : c’est le vœu de tous les esprits qui, dans l’art comme dans la poésie, préfèrent l’harmonie au clinquant.


GUSTAVE PLANCHE.