Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les armes les plus courtoises du monde, parce qu’on savait bien que le combat, circonscrit comme il l’était, ne devait rien décider, et que personne, au demeurant, ne pouvait cette fois rester sur le carreau. Ce n’a même pas été une de ces petites guerres où il n’est pas rare qu’on se pique au jeu tout en guerroyant pour la forme. À proprement parler, on n’a pas guerroyé ; ç’a été une parade dans le sens militaire du mot : les chefs des principales fractions du corps législatif ont défilé les uns devant les autres, et tous devant le public, beaucoup moins pour s’attaquer que pour se montrer eux et leurs drapeaux. C’était bien le moins qu’ils se montrassent le plus possible à leur avantage, et comme chacun d’eux avait l’esprit très libre, puisqu’il n’était pas question de porter des coups ou d’en recevoir tout de bon, ils ont sans grand’peine observé les prescriptions conciliantes de M. Dupin, celui-ci d’ailleurs ne se manquant pas plus à lui-même dans cette occasion que dans toutes les autres, et toujours prêt à faire haut la main son métier de juge du camp.

Ainsi, maîtres d’eux-mêmes, parce qu’ils n’avaient plus d’intérêt immédiat en suspens, les partis ont lutté d’égards et de bons procédés, sauf, bien entendu, les épisodes orageux que certaines gens ont le privilège infaillible de provoquer et de subir. À ces exceptions près, le caractère dominant de ce débat si considérable n’a ni plus ni moins été qu’une émulation d’indulgence mutuelle et d’impartialité bénévole pour les individus aussi bien que pour les opinions. Du moment où il était assez clair que rien ne tirerait à conséquence, peu s’en est fallu qu’on n’échangeât, sans trop de scrupule, ses couleurs comme ses complimens, et l’on a très développé tout ce qu’on avait entre soi de réciproquement sympathique, en rejetant dans l’ombre les élémens réfractaires. Noble exemple de concorde, heureuse apparence d’adoucissement et d’apprivoisement, si l’on n’eût trop senti que des dispositions si excellentes ne découlaient, en somme, que du propos délibéré de n’aboutir à rien ! Voilà comment les légitimistes, et tous les légitimistes, ont si fort applaudi l’éloquente revendication des principes de 89 dans la bouche de M. de Falloux et de M. Berryer. Les orateurs étaient sincères, ce n’est pas nous qui leur ferions l’injure d’en douter ; les bravos l’étaient également, on ne résiste pas à de si entraînantes paroles : on oublie seulement, soit en les disant, soit en les applaudissant, tout ce qu’elles ont de contradictoire avec les données essentielles et fondamentales de sa propre cause ; mais on oubliait ce jour-là en toute sécurité de conscience. On savait bien qu’il n’y avait pas de résultats à la porte, et qu’on ne courait point la chance d’être pris au mot en sortant.

Voilà comment, de son côté, la montagne elle-même s’était résolument faite si prudente, comment elle avait écarté de la tribune les émotions trop souvent risquées de M. Lagrange, comment elle y avait installé la logique froide et polie de M. Grevy. Hélas ! elle avait compté sans les improvisations de M. Hugo, qui, naturellement, ne se peuvent pas communiquer comme de simples manuscrits (ce sont les envieux de ce beau style qui accusent l’auteur de le peindre d’avance) ; elle avait compté sans les entêtemens de M. Raspail, lequel ne veut pas qu’il soit mal parlé devant lui de la journée du 15 mai, et tient pour un fait personnel toute allusion peu respectueuse à ce grand acte du peuple souverain. La montagne cependant a joué serré pour réparer ce dérangement imprévu de sa nouvelle tactique ; elle a été plus pressée que M. Dupin lui-même