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parlement, à l’appel des 1,500,000 pétitionnaires du dehors, sont un gage, un symptôme qui ne sera pas perdu pour le pays. C’est au pays d’en prendre bonne note, de continuer sans relâche sa campagne légale et pacifique, et, ne nous lassons pas de le répéter, cette campagne n’est point dirigée contre le pouvoir parlementaire, comme le crient ceux qui la calomnient ; elle ne l’est point au profit exclusif d’une personne, comme l’insinuent ceux qui voudraient faire croire qu’on l’exploite : elle est dirigée contre une constitution qui n’a pu nous rendre tolérable le devoir de la respecter qu’en y ajoutant, par compensation, le droit de la changer. Les droits et les devoirs sont assez étrangement juxtaposés dans la situation que nous a faite notre pacte constitutionnel : c’est le droit par exemple de la minorité, et même des illustres recrues qu’elle a gagnées dans nos rangs, de soutenir indéfiniment qu’on n’entend pas la nation et que ce n’est pas elle qui se plaint ; en revanche, c’est le devoir de la nation de se plaindre jusqu’à ce qu’on l’entende et jusqu’à ce qu’on la reconnaisse. Rien n’est donc plus légitime, au point de vue du code républicain, que de pétitionner encore, par cela même qu’on a vu récuser le pétitionnement, et là-dessus nous décrétons d’hérésie les purs républicains qui nous décréteraient presque de sédition. Qu’on y songe bien, il ne faut pas toujours en politique aller au bout de son droit : ce sont les casse-cou et les brouillons qui se piquent de cette rigueur ; mais on peut toujours aller au bout de son devoir. Faisons le nôtre.

Le débat de la révision n’aura donc pas eu de résultat immédiat, d’effet pratique ; on s’y attendait, on ne l’en a pas moins cherché, et il ne faut pas se repentir de l’avoir obtenu, parce, qu’il a nettement exprimé cette situation que nous avons tâché d’analyser, et sur laquelle il n’était pas prudent de s’endormir. Il a produit quelque chose d’autre, et qui n’est pas d’un moins utile enseignement. Il a jeté une lumière plus vive sur un certain nombre de figures parlementaires, sur celles des orateurs, sur quelques-uns même qui ont voté sans avoir parlé. Il a rajeuni ou confirmé d’anciennes gloires, celle de M. Berryer, celle de M. Barrot. Il a rendu un peu d’éclat à une auréole bien pâlie, il a expliqué, sinon justifié, les souvenirs pompeux que le talent de M. Michel (de Bourges) avait laissés dans la mémoire de ses amis, et qui n’y avaient pas été rafraîchis depuis déjà très long-temps. Ce débat enfin aura couronné, par un écrasant revers, la trop longue série des fantasmagories politiques de M. Hugo. Malheureusement il ne l’aura point close ; les revers et les leçons coulent sur l’orgueil en démence comme l’eau sur le marbre. Au point de vue de l’observation critique, on n’ose pas dire de la physiologie, cette discussion, qui a duré huit jours, tient ainsi une place importante dans l’histoire parlementaire de ces dernières années : on y a pu juger plus d’hommes et les juger plus à fond qu’en beaucoup d’autres circonstances passées. On a bien connu là, par exemple, comment il se faisait que les plus beaux accens de l’éloquence fussent toujours des accens d’honnêteté. Qu’on se rappelle ou qu’on relise avec un peu de suite ces longues séances qui sont comme les journées d’un tournoi ; insensiblement on se partagera presque entre deux émotions : une émotion politique qui trouble et qui gêne, l’inquiétude douloureuse que suggèrent tant de schismes et d’obstacles, et puis une émotion morale qui vous rassure, une consolation secrète qui vous gagne, à voir le noble ascendant dont on ne dépouille pas les ames honnêtes, même en leur résistant, et le charme souverain