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de leur tombeau, formée par la faiblesse ou cimentée par la tyrannie, sous l’empire constant des nécessités les plus cruelles, la lutte violente au dehors ou la dissolution intérieure des mœurs. Chez les Germains, peuplades éternellement en guerre les unes contre les autres, l’association se montre partout. À côté de l’association militaire du chef et des compagnons, sorte de communauté de périls et de gains, auprès des ghildes créées sous le serment pour l’aide réciproque des associés, se présente la famille constituée en société de défense jurée autant que d’affection naturelle, de vengeance et de secours mutuels. « Leurs armées, dit Tacite en parlant de ces peuples, ne se composent point d’hommes rassemblés au hasard, mais de familles et de parentés. » Telle est l’association quand elle naît pour un peuple jeune du besoin de la conservation : nécessaire sans doute, elle n’a rien pourtant de bien enviable ; mais combien moins l’est-elle lorsqu’elle s’établit dans un état vieilli sous prétexte du partage égal des avantages sociaux ? Quand, d’un œil interrogateur, on parcourt la vaste collection du code justinien, il vient un moment où l’on s’arrête étonné en se demandant : Qu’est devenue la vieille opulence romaine ? — Partout des champs stériles et la profondeur des solitudes. — Et les superbes fils du peuple-roi, où sont-ils ? — Dans les villes, les collèges municipaux des décurions asservis, les associations serviles des corps d’états ; dans les campagnes, les laboureurs, sous des titres divers, généralement enchaînés au sol ; en tout lieu, sur tout homme, la contrainte et l’exaction ; tels ont été les tristes fruits de l’association érigée en institution publique. Entravées par un pareil régime, l’industrie, la culture, resserrèrent peu à peu leur cercle, et l’homme se trouva trop heureux d’abandonner le sol natal pour échapper à l’oppression sociale. Quand les barbares se présentèrent aux portes de l’empire romain, ils trouvèrent des royaumes vides à se partager, inania regna !

L’ouvrage de M. Laurent, malgré quelques assertions contestables, n’en mérite pas moins d’être noté comme un des travaux historiques les plus importans qu’ait vus récemment paraître la Belgique, et une forte érudition y rachète, y corrige quelquefois les écarts de l’esprit d’utopie.

À côté des livres de MM. Laurent et Juste, d’autres publications plus légères montrent que l’esprit belge s’essaie avec non moins d’ardeur sur le terrain des lettres que sur celui des sciences. Telles sont les Fables de M. de Stassart, que recommande l’alliance d’une aimable gaieté et d’une fine bonhomie[1]. Un petit poème de M. Van Hasselt, la Mort de Louise-Marie d’Orléans[2], se distingue aussi par de vives et touchantes inspirations. Il y a au-dessus de toutes ces publications une pensée commune ; il y a entre elles un lien étroit qui les réunit : c’est un patriotisme sincère, c’est aussi un instinct sûr et profond des vraies sources de l’originalité nationale. Le mouvement littéraire qui commence en Belgique se continuera, on aime à le croire, et l’occasion d’y revenir ne nous manquera pas.


P. Rollet.



V. de Mars.
  1. Une traduction anglaise de ces fables vient de paraître à Londres en un volume in-18, chez Strange, Pater-Noster-Row.
  2. Bruxelles, chez Van-Buggenhoudt.