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livré à l’enseignement de Bosio un des esprits les plus pénétrans et les plus fins de notre temps, félicitons-nous plutôt de ce caprice ; car si M. Barye n’eût pas été obligé de se frayer sa voie, de marcher seul sans guide pendant quelques années, il est probable qu’il n’aurait pas acquis le talent individuel et nouveau que nous admirons. Il ne faut pas d’ailleurs exagérer l’influence de Bosio sur l’artiste qui nous occupe ; car Bosio, qui lui mit l’ébauchoir à la main, ne fut pas son seul maître. M. Barye a étudié le dessin et la peinture dans l’atelier de Gros, et l’auteur d’Aboukir, d’Eylau et de Jaffa avait de quoi combattre, de quoi effacer tout ce qu’il y avait de mesquin et de faux dans les leçons de Bosio. Tous les connaisseurs se rappellent les belles aquarelles ennoyées au Louvre par M. Barye, ses lions, ses tigres, ses panthères, ses gazelles, dont la vérité n’a jamais été surpassée. Il ne se contente pas de traiter avec le plus grand soin, avec l’exactitude la plus scrupuleuse, la partie vivante de la composition ; il n’apporte pas moins de zèle dans le choix des fonds ; il s’efforce de mettre les ciels et les terrains en harmonie avec le caractère de la figure, et il arrive bien rarement qu’il échoue dans sa résolution. Grace à cet artifice trop souvent négligé, une seule figure, fidèlement étudiée, a toute l’importance, tout l’intérêt d’un groupe. Si Gros n’a pas enseigné à-M. Barge la merveilleuse simplicité empreinte dans ces aquarelles, il lui a du moins donné le goût de l’entrain et de la vie qui animent ses toiles vraiment épiques. Ainsi la nature, à qui l’élève infidèle de Bosio doit la meilleure partie de son talent, n’a pourtant pas été son unique institutrice ; les leçons de Gros ont certainement exercé sur lui une action puissante. Ce serait mutiler l’histoire et la biographie que de ne pas tenir compte de cette action. Ce n’est qu’après avoir indiqué nettement toutes les sources auxquelles l’artiste a puisé qu’il est permis de l’envisager en lui-même. À te titre, Gros et Bosio, que je ne songe pas à mettre sur la même ligne, méritaient d’être mentionnés.

Les commencemens de M. Barye ont été des plus humbles, et la connaissance de ses premières années ajoute encore à mon admiration pour son talent. Quand je compare son point de départ au but qu’il a touché, je ne puis m’empêcher de voir en lui un des témoignages les plus éclatans de ce que peut obtenir la volonté. Né sous le directoire, quatre ans avant la fin du siècle dernier, à treize ans il entrait en apprentissage chez Fourier, qui gravait pour les orfèvres des matrices d’acier destinées à faire ce qu’on appelle des repoussés. Ainsi, à peine sorti de l’enfance, M. Barge s’initiait aux premiers élémens de l’art qu’il devait bientôt embrasser dans toute son étendue, dans toute sa variété. Le maître que son père avait choisi était alors accepté d’un consentement unanime par ses confrères comme le plus habile. C’est dans l’atelier de Fourier que M. Barye a puisé la connaissance complète